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plus instructifs. En possession d’une grande quantité d’or appartenant à la Compagnie des Indes, la Banque d’Angleterre avait surexcité la spéculation en lui offrant des facilités trop étendues : elle avait abaissé le taux des escomptes au-dessous de 3 pour 100. « Dès le commencement de l’année 1836, disent dans leur manifeste les membres de la chambre du commerce de Manchester, la fureur des spéculations sur les valeurs industrielles, et la formation d’innombrables sociétés par actions avertirent ceux qui avaient conservé le souvenir de 1825 que le monde commercial marchait rapidement à des scènes analogues à celles qui avaient caractérisé cette fatale aimée. » Pour mettre un terme au retrait des espèces et à la tendance qu’avaient les capitaux à s’engager au loin, les directeurs de la banque élevèrent successivement le taux des escomptés de 4 à 4 ½ et enfin à 5 pour 100. « Tout le corps du commerce, disent les négocians de Manchester, sur lequel le moindre mouvement restrictif de la banque d’Angleterre agit avec une rapidité électrique, prit l’alarme : chacun s’empressa de réaliser ses voleurs, afin de se garantir autant que possible de l’imminente baisse des prix. Ainsi le but que se proposait la banque se trouva atteint. Pendant le printemps et l’été de 1837, le prix de le toutes les marchandises qui avaient particulièrement servi de matière aux spéculations tombèrent à des prix inférieurs à ceux où on les avait vus descendre depuis un grand nombre d’années. » L’effet désiré fut obtenu. L’argent rentra en Angleterre. La banque refit largement sa réserve métallique. L’année suivante, reprise des escomptes à bon marché, nouvelle expansion des affaires. Au commencement de 1839, les capitalistes se trouvaient encore une fois engagés pour des sommes considérables dans les spéculations extérieures. Une mauvaise récolte nécessitait des achats de blés au comptant. Recourant au remède ordinaire, la banque releva brusquement le taux des escomptes à 5, à 5 1/2 et jusqu’à 6 pour 100 ; les négociations du papier de commerce devinrent tellement difficiles, que par suite des ventes forcées, on estima à 25 pour 100, au minimum, la dépréciation de toutes les marchandises. Dans les pièces à l’appui du manifeste de Manchester se trouvent les factures d’un négociant importateur qui, sur un ensemble d’articles achetés par lui 2,854,900 fr., a perdu, en raison de la baisse foudroyante, 1,068,975 ; c’est-à-dire 37 1/2 pour 100.

Il n’est pas étonnant que le commerce anglais, où les souvenirs de 1839 sont encore cuisans, suive avec anxiété les opérations de sa banque. Au point de vue spécial de la Bourse de Paris, ces oscillations du marché monétaire sont également dignes d’intérêt. Il est évident que si les capitaux anglais engagés au loin étaient rappelés à Londres par les manœuvres que nous venons de décrire, il y aurait une tendance irrésistible à la baisse sur le continent.

Le bruit s’était répandu la semaine dernière que la Banque de France allait aussi relever le taux de ses escomptes. Une pareille mesure n’aurait pas chez nous la même gravité qu’en Angleterre. Ces contractions violentes qui jugulent impitoyablement le commerce ne sont pas dans les traditions des régens de notre banque, c’est justice à leur rendre. Loin de tourmenter la circulation, ils la modèrent avec une prudence qu’on leur a souvent reprochée comme excessive, mais dont on sent le prix dans des circonstances comme celles où nous touchons. S’ils étaient obligés de modifier les conditions actuelles du