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la législation, l’archéologie du bas-empire, et, suivant la juste expression de M. Quicherat, la Grèce lui doit la résurrection des siècles qui rattachent son présent à son immortelle antiquité. Enfin, par Constantinople chrétienne, il rebâtit la Byzance des empereurs telle qu’elle était sous les Constantin, les Commène et les Paléologue, avec ses murailles, ses rues innombrables, ses palais, ses ports, ses cinq cents églises. Ce livre, véritable guide du voyageur ou plutôt véritable panorama vivant, peut être considéré comme l’une des reconstructions archéologiques les plus étonnantes qui aient été faites, car l’auteur n’avait point eu, comme tant d’autres l’ont eu pour Rome, le secours des ruines, la ville antique qu’il décrit ayant disparu tout entière sous le niveau de la conquête musulmane. Ce fut par la seule étude des textes qu’il parvint à la rebâtir ainsi, en complétant comme toujours l’histoire des monumens par celle des mœurs et des institutions.

Les études de Du Cange sur notre histoire nationale ne sont ni moins variées ni moins profondes. En abordant cette histoire, il fait table rase des opinions qui avaient cours avant lui, il va droit aux sources directes, et il embrasse, en encyclopédiste, le passé tout entier. Par la Description de la Gaule et la Géographie de la France, il donne une connaissance parfaite du sol en lui-même depuis les premiers temps connus, et dans ce travail immense, inachevé en quelques points, et par malheur encore inédit et décomplété, on trouve en germe la plupart des notions géographiques qui depuis ont défrayé l’érudition moderne. Cependant ce n’était là que la préface d’un ouvrage bien autrement considérable, et qui devait présenter, divisé en sept époques, le tableau complet de l’organisation sociale et politique de la monarchie française jusqu’à saint Louis. L’origine des Gaulois, leurs migrations, leurs croyances, leurs mœurs, l’ordre nouveau établi par la conquête romaine, le gouvernement des villes, les colonies, les municipes, puis sous la conquête franque l’administration des nouveaux maîtres, les origines et le développement de la féodalité, le servage, la noblesse, la chevalerie, l’état des personnes et des terres, en un mot tout ce qui constitua l’ancienne société dans ses transformations successives jusqu’au XIIIe siècle devait se dérouler dans une longue suite de dissertations. Quelques-unes sont complètement terminées ; les autres, en plus grand nombre, ne sont qu’indiquées, mais dans les seules notes qui avaient été réunies pour la rédaction définitive, on trouve encore les renseignemens les plus précieux, et nous connaissons des érudits qui de notre temps même se sont fait un nom en se bornant à mettre, en œuvre ces riches matériaux, sans jamais les citer. Le Nobiliaire, le Traité des Armoiries, l’Histoire des grandes et des moyennes Dignités, et dans la belle édition de Joinville les dissertations sur les guerres privées, les comtes palatins, l’oriflamme, la justice rendue par les rois, etc., justifient complètement ce que disait Perrault : « La postérité aura peine à croire qu’un seul homme ait possédé tant de science, et que sa vie ait suffi à tous les travaux qu’il a laissés. » et pourtant, dans l’œuvre immense de cet homme, ce ne sont là que des morceaux pour ainsi dire accessoires. Esprit profondément analytique, Du Cange sentit la nécessité, pour faire comprendre et populariser cette science du moyen âge qu’il avait découverte, de la résumer dans une somme, comme saint Thomas avait résumé la théologie, et de la donner toute faite à ceux qui