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est la classe qui se met à sa tête. La manie de copier les institutions de l’Angleterre, sans jamais vouloir comprendre ses mœurs, a attiré trop de malheurs à ce pays-ci pour qu’à l’avenir il puisse lui être indifférent d’observer les diverses modifications intellectuelles ou morales de ses voisins. Le temps marche, les types s’effacent ou se métamorphosent, et, pour n’avoir pas noté les premiers indices d’une transformation évidente, on se trouve tout à coup en face d’un être nouveau aussi inexplicable que le serait l’Euphorion de Goethe pour qui ne connaîtrait ni Faust ni Hélène.

L’affranchissement moral, l’émancipation intellectuelle de toute une race esclave jusqu’ici de certains préjugés et vouée au positivisme le plus absolu, tel est le spectacle qu’offre en ce moment la jeune génération littéraire à laquelle appartient M. Julian Fane. À mon sens, les femmes se tiennent encore fort loin du niveau que cette génération a su atteindre. C’est, du reste, ce qu’on peut assez généralement remarquer en toute période de ce genre. La mission des femmes est essentiellement conservatrice : viennent-elles après une époque de désordre, elles commandent le mouvement réactionnaire, voyez l’hôtel de Rambouillet, — tandis qu’au début d’une crise en quelque sorte révolutionnaire, à la naissance d’une liberté quelconque, elles restent comme hésitantes et embarrassées. Serait-ce que leur organisation délicate ne supporterait point sans fléchir le poids du vrai ? Et ressemblent-elles à ce que dit Goethe à propos de Hamlet, à un beau vase de Chine dans lequel on a planté un jeune chêne ? L’arbre croit, devient beau, sain, vigoureux ; mais le vase éclate. Cela est-il ainsi ? Peut-être, et cette instinctive inaptitude des femmes en général à concevoir les grandes vérités abstraites sans perturbation morale m’a toujours paru l’argument le plus victorieux en faveur de la suprématie masculine. Quelques exceptions à la règle pourraient se signaler pourtant, même en Angleterre, exceptions d’autant plus éclatantes qu’elles sont plus rares. Il est certaines femmes anglaises dont la supériorité intellectuelle et la supériorité morale marchent de pair, et qui sont de taille à tout comprendre sans jamais se troubler. On en pourrait citer quelques-unes que la lumière n’effraie pas, selon l’expression du poète Landor[1], et que « chaque année laisse, » ainsi que le dit M. Fane, « plus grandes de cœur et plus aimables, plus riches de science et plus sereines : »

Larger of heart, more gracions, gentle wise.

Il est vrai que la pièce de vers où se trouve cette ligne est intitulée

  1. « L’humanité entière a peur, dit Landor, avec cette différence que les enfans tremblent lorsqu’on les mène dans l’obscurité, et les hommes quand on les conduit à la lumière. »