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demeure d’aussi étroites ouvertures, assujettir leurs sujets à d’aussi gênantes attitudes, que pour se tenir mieux en garde contre les assauts imprévus de la trahison. Ils ne voulaient pas qu’un ennemi pût venir à eux la tête haute et le bras prêt à frapper. N’ayant à redouter d’autre arme que le casse-tête, ils croyaient n’avoir rien à craindre de l’homme qui se tenait humblement courbé en leur présence. Celui qui se redressait devant la majesté royale, qui osait se placer au niveau ou même au-dessus de son souverain, devenant dangereux, était réputé criminel.

Une natte grossière couvrait le sol de la cour dans laquelle je venais de m’introduire. En face de l’entrée s’élevait la case du roi George. À voir cet édifice de style ogival, uniquement composé de roseaux et de brins d’herbe tressés, on eût dit une énorme ruche destinée à loger des abeilles. Ce palais rustique était cependant un chef-d’œuvre d’industrie et de patience. De toutes les cabanes d’Indiens, c’était sans contredit la plus élégante et la plus ingénieuse que j’eusse encore vue. Quant à l’ameublement, il était, je dois le dire, d’une extrême simplicité. Deux bancs de bois, une natte assez fine, un coffre sur lequel était posée une lampe remplit d’huile de baleine, voilà les seuls objets qui paraient la nudité de la royale demeure. La soirée était magnifique ; la lune montait lentement dans le ciel. Le roi George et la reine s’accroupirent sur un coin de leur natte ; je m’assis auprès d’eux, nous allumâmes nos cigares, et la conversation alla son train. L’anglais du roi George n’était pas malheureusement toujours intelligible ; celui de la reine était un gazouillis difficile à déchiffrer. J’aurais donc quitté l’île Oualan très imparfaitement édifié sur les points que je m’efforçais d’éclaircir, si le roi n’eût eu l’excellente pensée de faire appeler deux linguistes attachés à sa cour, qui non-seulement nous servirent d’interprètes, mais prirent aussi bientôt une part active à la conversation.

Le roi George, — le moment est venu de lui rendre cet hommage, — pratiquait l’hospitalité comme un Médicis. Sa cour était ouverte à tous les étrangers que la fortune amenait dans son île. Il arrivait souvent qu’un bâtiment de Sydney ou des États-Unis, privé d’une partie de son équipage par la désertion, avait recueilli des renforts sur divers points de l’Océanie. Sa pêche terminée, ce navire ingrat jetait sur la première île venue les Indiens dont les services lui étaient devenus inutiles. Le roi George accueillait avec empressement ces épaves, et, grâce aux revenus considérables de sa liste civile, ses hôtes, si nombreux qu’ils fussent, n’avaient jamais à craindre de manquer de popoïe. Les insulaires débarqués à Oualan étaient des gens qui avaient vu le monde. Leur expérience venait souvent en aide aux notions un peu confuses que le roi George avait