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médicales de ces sorciers polynésiens les procédés des bonzes chinois et ceux des magiciens mongols. Dès qu’un Indien se plaint d’être malade, ses parens s’empressent d’appeler à son aide le grand médecin de la tribu. Le mal est-il léger, il suffit des infusions que le médecin ordonne ; mais si le cas est grave, il faut avoir recours aux moyens surnaturels. Il existe dans l’île de Pounipet des sommets sacrés près desquels les Indiens ne s’aventurent jamais ; c’est sur ces hauts lieux que l’âme du malade s’est enfuie. Il faut la contraindre à revenir animer le corps qu’elle a déserté. Il importe surtout de ne pas perdre un instant, car des ailes gigantesques qui croissent à vue d’œil vont, si l’on ne se hâte, emporter dans les cieux cette âme vagabonde. Le médecin se met donc en route ; il ose gravir la montagne. — S’il réussit à saisir l’âme qu’il est venu chercher, il l’enferme soigneusement dans une noix de coco, et, à son retour, la verse avec le lait sur la tête du malade. Trop souvent, hélas ! l’âme a quitté la terre, elle est partie : le médecin l’a vue qui volait ballant l’air de ses noires membranes. Où ses ailes, — question difficile à résoudre ! — l’auront-elles portée ? « Elle est allée bien loin, répondent les naturels, bien loin d’ici ! Les âmes qui l’ont précédée l’attendent pour la recevoir et lui faire les honneurs de ce nouveau séjour. Il faut les prier ; il faut préparer au parent que l’on pleure un bienveillant accueil, il faut dire quelles étaient ses vertus, sa bonté, son courage, afin que les morts se réjouissent du compagnon que la terre leur envoie. C’est pourquoi les vassaux, les amis, les parens, doivent se réunir souvent sur la tombe du défunt pour célébrer ses louanges et pour chanter ensemble de longs hymnes de deuil. » À ces naïfs discours, qui ne croirait reconnaître les vieux enfans des Steppes de l’Asie, les honnêtes et crédules Mongols, sous la tente desquels ont si longtemps vécu nos deux héroïques missionnaires le père Hue et le père Gabet ?

J’avais pressenti l’intérêt qui devait s’attacher à la théodicée mystique des Carolins ; mais ce n’est pas le roi George qui pouvait satisfaire ma curiosité sur cette question. Nous nous entendions mieux quand nous parlions des ressources agricoles de son île. Le roi George était fier à juste titre de la merveilleuse fécondité de ses états, et, comme s’il eût voulu m’en éblouir, il ne cessait de me la vanter. Après sa seconde visite à bord de la corvette, il avait convoqué tous les chefs dans la case commune : il leur avait raconté les splendeurs de la Bayonnaise, il leur avait en même temps fait sentir qu’il convenait de mettre leur souverain en état de reconnaître l’accueil et les présens qu’il avait reçus de ces redoutables étrangers. Bientôt en effet des pirogues chargées de taras, de fruits de l’arbre à pain, d’ignames, de cannes à sucre et de noix de coco vinrent inonder