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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/283

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vanter d’avoir mis en œuvre des procédés nouveaux. La valeur qui leur appartient ne signale pas un progrès dans le maniement du pinceau. Albert Dürer et Holbein, si habiles dans l’imitation de la réalité et souvent si éloquens, demeurent sans importance dans la question que nous agitons. Il n’y a rien en effet dans leurs procédés qui leur assigne une place à part. Leur manière d’employer la couleur n’offre rien d’inattendu, rien d’individuel.

Rembrandt seul, après Michel-Ange, Léonard de Vinci, Raphaël, Titien, Corrège et Rubens, nous offre une manière vraiment nouvelle, un procédé nouveau, un progrès réel dans le maniement du pinceau. Lors donc que j’assigne à Rembrandt le septième rang dans l’heptarchie de la peinture, je n’entends pas le mettre au-dessus de Nicolas Poussin, de Velasquez et de Murillo, au-dessus d’Albert Dürer ou d’Holbein sous le rapport de la composition ou de l’expression ; telle n’est pas ma pensée : je veux seulement constater qu’il a manié le pinceau comme personne ne l’avait fait avant lui, et c’est à nos yeux ce qui lui donne droit au septième rang. En effet, après Michel-Ange, Léonard, Raphaël, Titien, Corrège, Rubens et Rembrandt, l’esprit le plus érudit chercherait vainement un artiste qui put leur être comparé sous le rapport de l’originalité. En dehors de cette heptarchie, il n’y a guère eu jusqu’ici qu’imitation, plagiat au point de vue technique : des maîtres habiles se sont produits, mais aucun de ces maîtres ne mérite dans l’histoire de la peinture une place aussi importante. Variété, finesse, fidélité d’imitation, élégance de lignes, sobriété de style, profondeur de composition, ils ont pu tout prodiguer, sans détrôner les rois que je viens de nommer.

Arrivé au terme de cette étude, je ne voudrais pas qu’on se méprît sur le sens de ma pensée. Je ne voudrais pas laisser croire que les œuvres de Rembrandt sont aussi salutaires pour les jeunes artistes que les œuvres de Léonard et de Raphaël. Comme la beauté est le but suprême des arts du dessin, il est évident que les chefs de l’école milanaise et de l’école romaine sont des guides plus sûrs que le maître hollandais ; mais après avoir suivi ces guides presque divins, il sera toujours bon, toujours utile de s’adresser au maître hollandais pour essayer de lui dérober le secret de ses procédés. Pour ma part, je ne vois pas pourquoi il serait défendu de dessiner aussi purement que Léonard et Raphaël, en noyant le contour des corps dans une ombre mystérieuse, comme l’a fait Rembrandt. C’est, je l’avoue, un problème difficile à résoudre ; je ne crois pas pourtant qu’il soit absolument insoluble. Je me contente d’affirmer que Rembrandt est dans l’histoire de la peinture un des sept maîtres qui représentent vraiment une manière à part.


GUSTAVE PLANCHE.