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l’ancienne colonie française. Au spirituel, le Canada relevait alors de l’archevêché de Rouen. Tant que le pays avait été considéré comme pays de missions, les récollets et après eux les jésuites y avaient seuls desservi les paroisses. Érigé en vicariat apostolique, l’an 1657, par le pape, le Canada eut un évêque particulier qui résida à Québec, et un clergé régulier, qui a su, à travers bien des orages et des vicissitudes, se concilier l’affection et le respect des habitans. La concorde ne régna pas toujours entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel ; des luttes éclatèrent aussi entre les gouverneurs et le conseil. En somme, la colonie se trouva organisée assez solidement pour résister aux crises qui la menaçaient.

Par l’édit royal de 1664, la compagnie des Indes occidentales se trouvait maîtresse de toutes les régions possédées par la France dans les deux hémisphères. Sur la demande de la compagnie, Louis XIV voulut nommer le vice-roi de toute l’Amérique et le gouverneur provincial du Canada : son choix se fixa sur le marquis de Tracy, lieutenant-général dans ses armées pour la première de ces deux charges, et il conféra la seconde à Daniel de Rémi, seigneur de Courcelles. M. Talon, intendant en Hainault, passa en cette qualité au Canada, et bientôt débarquèrent à Québec les vingt-quatre compagnies du régiment de Carignan, qui venait de se distinguer en Hongrie contre les Turcs. Le marquis de Tracy avait pris Cayenne aux Hollandais et soumis plusieurs îles avant d’arriver à Québec. Conduit processionnellement à la cathédrale par l’évêque et tout son clergé, il refusa le prie-dieu et s’agenouilla sur le pavé nu de la basilique : c’était un homme de la trempe des anciens chevaliers, courageux, pieux et modeste. La population entière l’accueillit avec des cris de joie, et les sauvages, accourus à la ville, virent avec une admiration mêlée d’effroi les chevaux montés par les officiers du régiment de Carignan. C’étaient les premiers qu’on eût encore amenés au Canada. Le marquis de Tracy fit construire des forts pour tenir en respect les Iroquois. Une expédition ayant été dirigée contre ces sauvages, M. de Courcelles, à pied, chaussé de raquettes, comme ses braves soldats, et portant ses vivres sur son dos, parcourut près de trois cents lieues de forêt, en plein hiver, au milieu des neiges. Les Iroquois épouvantés abandonnaient leurs villages, que les vieilles troupes françaises traversaient tambour battant, enseignes déployées ; pour la seconde fois ils demandèrent la paix. De son côté, l’intendant Talon encourageait l’industrie, organisait de nombreux essais de culture, établissait de nouvelles branches de commerce, nouait des relations avec Madère, les Antilles et l’ancien continent. Il donna une telle impulsion à la pêche du loup marin, que bientôt le Canada exporta une grande quantité d’huile en France et dans les îles du golfe