Au temps où Montréal était le principal comptoir de la compagnie des pelleteries, les sauvages arrivaient chaque année en juin avec leurs canots d’écorce chargés de pelleteries. Comme on les traitait bien, chaque année aussi ils amenaient quelque tribu nouvelle, et ce fut bientôt une foire à laquelle se rendaient tous les indigènes du nouveau continent. Après avoir eu une audience publique du gouverneur, les Indiens déposaient leurs marchandises dans les comptoirs ; on leur donnait en échange des pièces d’une étoile dite écarlatine, du vermillon, des couteaux, de la poudre, des fusils. Le traité de 1713, dont nous avons parlé plus haut, fit perdre aux Canadiens les fourrures de la baie d’Hudson. Bientôt le gouverneur de New-York, Burnet, interdit aux traitans français l’entrée de son territoire, et il ouvrit à Oswégo, sur la rive méridionale de l’Ontario, un comptoir qui épargnait aux Indiens des grands lacs et des pays de l’ouest la peine de descendre le Saint-Laurent. Aux lois qui défendaient à tout Français de commercer avec la Nouvelle-Angleterre, la France répondit par des ordonnances non moins rigoureuses. Les compagnies canadiennes durent abandonner entre les mains du roi leurs comptoirs de traite, qui furent affermés à des marchands investis de privilèges. Ceux-ci eurent recours à la ruse pour faire rapidement fortune ; ils enivraient les sauvages et les trompaient avec effronterie. De ce jour, la traite des pelleteries fut un commerce à jamais compromis, sinon perdu. Chaque traitant enrichi s’en allait vivre ailleurs à sa guise, en répétant ce déplorable adage : « Après moi le déluge[1]. » Enfin il résulte des documens officiels que le Canada ne rapporta jamais à la France au-delà du tiers de ce qu’il lui coûtait[2]. Par suite des besoins toujours croissans de la colonie, le gouvernement lui permit d’établir des manufactures et de fabriquer des étoiles, privilèges que l’on avait, avant 1716, obstinément refusés à l’Amérique. On vit se dresser partout des métiers à tisser, dans les villes, dans les campagnes, dans les seigneuries. Le paysan des bords du Saint-Laurent, aussi laborieux dans la paix qu’infatigable dans la guerre, se montrait apte aux travaux les plus divers, et ces précieuses qualités, il les dut à la défense qu’avait faite Louis XIV d’introduire des esclaves au Canada.
Lorsque la guerre éclata de nouveau entre la France et l’Angleterre,
- ↑ Le père Lafitau avait introduit au Canada la culture du jin-seng, cette plante si prisée des Chinois. On en vendit une seule année pour 500,000 fr. Pour aller plus vite en besogne, les spéculateurs firent sécher la plante au four, au lieu de la faire sécher à l’ombre et lentement. Les Chinois réinsèrent cette marchandise détériorée, et cette industrie s’éteignit complètement.
- ↑ Soit, vers 1750, 2 millions et 1/2 pour les exportations, et 8 millions pour les importations.