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d’un sucre différent du sucre de canne. Aux États-Unis, l’on fabrique et l’on consomme chaque année une assez grande quantité de sucre d’érable ; mais, bien que très suffisant pour l’usage, le produit de l’érable ne vaut pas celui de la canne, tandis que le sucre de betterave est identique au sucre de canne, et pourrait lui être substitué sans nul inconvénient pour les consommateurs.

Le Diario, journal du gouvernement, après avoir raconté, d’après l’Economist, tous les progrès qui ont été accomplis en Europe dans la production du sucre de betterave, s’efforce de se dissimuler à lui-même et de déguiser aux autres les craintes que lui fait concevoir pour le sucre colonial la rivalité du sucre européen. Il tâche de se rassurer en disant que dans les pays très peuplés on n’abandonnera pas à la betterave le terrain destiné aux céréales, que les gouvernemens désirent maintenir l’existence du sucre colonial, que la zone où croît la betterave est limitée. On pourrait opposer aussi aux chances d’envahissement du sucre de betterave la nécessité d’avoir sous la main le combustible et l’engrais. Malgré tout cela, la France, la Belgique, l’Allemagne, offrent encore un beau champ de bataille. Le Diario termine par cette conclusion où perce un certain effroi à travers un langage qui veut être confiant : « Sans nier que la betterave ne soit une rivale terrible pour la production sucrière des tropiques dans de nombreux marchés de l’ancien monde et dans les plus importans d’entre eux, il n’y a pas cependant de raisons suffisamment fondées de prophétiser avec assurance qu’elle en conquerra bientôt et absolument le monopole. »

On voit que la sécurité du sucre de canne n’est pas très grande ; j’avoue que je suis peu attendri sur son sort et peu touché de ses inquiétudes. Que la canne soit remplacée par la betterave, ou, si elle veut échapper à ce destin, qu’elle s’ingénie comme son ennemie, que sa production devienne plus économique en se simplifiant et se perfectionnant : dans les deux cas, un coup aura été porté à l’esclavage, et des millions d’êtres humains ne seront plus dégradés pour que nous puissions manger des confitures et boire de l’eau sucrée.

On ne saurait venir à La Havane et passer sous silence le tabac, qui a fait la célébrité de cette ville. J’y suis pour ma part aussi peu disposé que qui que ce soit, et je recueille avec empressement le plus de documens qu’il m’est possible sur la culture, la préparation du tabac et son histoire.

Le tabac est en général cultivé dans cette île par de petits propriétaires qui se livrent à ce travail minutieux en famille, ce qui est la meilleure condition pour que la plante atteigne toute la perfection de son développement ; puis le tabac est acheté par des courtiers qui parcourent l’île, et vendu par eux à des négocians de La Havane ;