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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/334

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fonctionnaires détestés. Le citoyen des États-Unis paie volontiers parce qu’il est libre, parce que lui-même est appelé à diriger pour sa quote-part l’emploi des sommes votées, parce qu’il s’appartient, qu’on ne lui envoie pas de deux mille lieues des soldats pour le garder, des administrateurs pour le gouverner, des juges pour le juger, que chacun est appelé à défendre le pays comme milicien, à le gouverner comme administrateur, à lui donner la justice comme juré. Cette différence a été bien exprimée par un écrivain de Cuba : « Le fisc est tout dans ce pays-ci, dit-il ; l’action protectrice du gouvernement s’y fait sentir dans toutes les institutions, et il n’y a pas une entreprise publique ou privée de quelque importance où l’on ne compte sur l’assistance du trésor. » Prenez le contre-pied absolu, et vous aurez une idée exacte de la manière d’agir des États-Unis.

Les deux sujets les plus sérieux de mécontentement contre l’Espagne sont d’une part les impôts indirects dont elle frappe la colonie par ses douanes, et de l’autre l’impossibilité pour les créoles d’obtenir aucun emploi.

Le gouvernement espagnol a conservé le vieux système, qui était autrefois celui de tous les états vis-à-vis de leurs colonies, et qui consiste à sacrifier constamment les intérêts de celles-ci aux intérêts de la mère-patrie, au lieu de favoriser le développement colonial et d’en profiter. Ainsi, par des droits exorbitans sur les farines des États-Unis, on force les habitans de faire venir d’Espagne le blé qui les nourrit, et qui lui-même paie un droit considérable. Ce qui blesse encore plus les créoles, c’est qu’aucunes fonctions, depuis les plus élevées jusqu’aux plus infimes, ne leur sont jamais confiées : à quoi les Espagnols répondent qu’en Espagne des postes importans sont occupés par des natifs de Cuba ; mais cela n’empêche point les autres natifs de sentir très amèrement l’exclusion dont ils sont frappés dans leur patrie, un personnage considérable de l’île me disait : « Je ne pourrais être garde-chasse. » On remarque avec un vif déplaisir qu’il n’y a point eu de grâce pour les créoles compromis dans les derniers événemens, mais que la reine a mis le plus grand empressement à gracier les Américains des États-Unis. Les jeunes gens apprennent l’anglais, et quand on leur parle de leur nationalité espagnole, ils répondent : « Nous ne sommes point Espagnols ; nous voudrions pouvoir oublier notre langue. » En somme, la désaffection de la colonie est arrivée au comble. La Havane s’appelle la cité très fidèle et a des clefs pour armoiries. Cette fidélité pourrait bien consister un de ces jours à se servir de ces clefs pour ouvrir la porte aux États-Unis. Ce n’est pas que les habitans de Cuba aient un goût particulier pour les Américains du Nord. De plus, la mollesse ordinaire aux créoles n’en a pas fait en général des hommes