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donnera, sous huit points de vue divers, huit aspects heureux. L’art parlera sans efforts ; mais si c’est un tableau, que dira la toile plate représentant des objets en relief ?

Évidemment il y aura quelque chose de moins naturel ; mais par la haute estime des chefs-d’œuvre de la peinture, on peut juger que ce qui manque physiquement au tableau est bien peu de chose comparativement à ce que le génie y a mis. Malgré tous les artifices de la couleur, des ombres, du dessin, quand on regarde un tableau avec les deux yeux, on trouve une différence entre l’effet produit par la toile, qui n’occupe qu’un seul plan, et ce que produiraient des objets réels plus ou moins distans du spectateur. Tout le monde sait qu’en fermant un œil, une grande partie de cette invraisemblance tacite disparaît, et que le tableau gagne tout de suite, en naturel. C’est surtout au premier abord que cet effet est sensible. Plus tard l’imagination, entraînée par le talent de l’artiste, n’écoute plus les faibles réclamations de la sensation, pas plus qu’on ne résiste à l’entraînement des représentations théâtrales malgré les invraisemblances de la scène, des décorations, de l’illumination, de la pose des acteurs parlant au public, et enfin de la présence des spectateurs eux-mêmes.

Mais c’est surtout pour les peintures qui se voient de très-près, comme les épreuves daguerréotypes et les miniatures, que l’usage des deux yeux est fatal. Ces représentations planes d’objets en relief semblent vous dire elles-mêmes : fermez un œil, et il n’est point d’amateur montrant une collection de ces admirables chefs-d’œuvre qui n’invite son hôte à rehausser ainsi le mérite des plus belles miniatures. Une autre règle que l’on peut, je crois, admettre pour donner du naturel aux objets d’art, c’est de ne point rester fixement à la même place. Les mouvemens même très petits que se donne le spectateur sauvent une grande partie des invraisemblances physiques de l’art en ôtant à l’organe la possibilité de s’appesantir et de se fixer sur ce qui fait la différence entre la toile et le relief.

Pour revenir plus spécialement au stéréoscope, nous dirons que l’étonnant succès, la popularité de ce bel instrument, se sont produits d’eux-mêmes et sans le patronage tout-puissant et presque toujours indispensable de la presse scientifique et de la presse périodique. Il en a été de même pour le télégraphe électrique, et jusqu’à un certain point pour le daguerréotype, les locomotives, les agens médicaux qui suppriment la douleur, L’électrotypie ou sculpture électrique, et tant d’autres inventions capitales, l’honneur exclusif de notre siècle. Le stéréoscope est recherché, parce qu’indépendamment de ses applications utiles il produit de beaux effets, des effets vraiment artistiques, et que, pour passionner les hommes, plutôt que de répondre à la question : A quoi bon ? il vaut mieux pouvoir répondre à la question : En quoi beau ?

Une question m’a souvent été faite dans ces réunions si admirables de la société parisienne, ou tant de bons esprits, peut-être un peu indolens, excités par l’instinct puissant de la sociabilité, apportent le tribut de leurs idées, et qui autrement, suivant l’expression de l’abbé Dubos, s’en iraient sans déballer, réunions dans lesquelles l’hommes spécial que l’on interroge peut dire sans honte : Je ne sais pas, ou dire sans pédantisme ce qu’il sait, où enfin l’homme du monde peut poser sans inconvénient pour lui les problèmes les plus insolubles,