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à la louange de Dryden et de sa traduction de Virgile[1]. Il protégea, dit-on, généreusement la vieillesse et la décadence du poète dont il aimait le mâle talent et la très libre conversation. Une ode, Almahide, des stances à une maîtresse et le prologue d’une tragédie d’Altemire, tels sont les médiocres monumens de son talent poétique. Il composait des vers pour se faire en tout comparer à Rochester ; mais il ne l’égalait pas.

Il fit bientôt un voyage sur le continent ; on croit qu’il y séjourna deux années. Dans ce voyage, dont il ne reste aucune trace hors deux lignes d’une lettre où l’on voit qu’il passa par Milan, il acheva d’acquérir une connaissance assez parfaite de la langue française pour qu’il pût la parler et l’écrire avec facilité, avantage dont il tira beaucoup de parti dans sa carrière politique. À son retour, il se maria, quoique peu préparé par son âge et par ses mœurs pour un tel engagement. Il épousa, à vingt-deux ans, la fille de sir Henry Winchescomb, qui lui apporta une grande fortune, 40,000 livres sterling, dit-on. Cette union, comme on pense bien, ne fut pas heureuse. Le mari, impérieux et volage, se plaignit bientôt de l’humeur de sa femme, qui se plaignait de ses infidélités. Les griefs de part et d’autre firent un peu de bruit, et longtemps avant le jour où les événemens les séparèrent, ils vécurent dans les froids rapports d’une mutuelle indépendance. Mais avant toute rupture, au moment où par son mariage Saint-John semblait régler sa vie, il tourna ses regards vers le parlement. Son grand-père, qui vivait encore, y avait siégé pour le comté de Wilts, où son père était élu par le bourg de Wotton-Basset. La famille de sa femme figurait aussi avec influence dans la chambre des communes, et il y remplaça son père aux élections générales de 1700. Au même moment, son ancien condisciple Robert Walpole entrait au parlement pour le bourg de Castle-Rising, Norfolk. Rivaux futurs, déjà peut-être jaloux, il ne pouvaient s’unir sous un commun drapeau. Le parti whig ouvrit ses rangs au jeune Walpole. Pour Saint-John, il avait été élevé parmi les dissidens attachés tous aux principes de la révolution de 1688. Son père, homme de mœurs légères, n’était ni presbytérien ni républicain ; pourtant, élu par les

  1. Parmi le peu de vers qu’a laissés Bolingbroke, on cite ordinairement une petite pièce en l’honneur de l’ingénieux et savant docteur Mathanasius, insérée avec d’autres poésies en diverses langues en tête du fameux Chef-d’œuvre d’un Inconnu. Ce Sont vingt-six veis anglais, bien qu’imprimés en caractères grecs, qui dans l’édition de La Haye 1714 sont signés H. D. B. A. A. S. Ces initiales sont, dans une édition postérieure, expliquées par ces mots : Henricus de Bolinbroke (sic) Annoe a secretis. Jamais Bolingbroke, quoique Goldsmith s’y soit trompé, n’avait travaillé pour l’œuvre du sieur de Sainte-Hiacynthe. C’est celui-ci qui s’empara des vers insérés dans l’édition du Virgile de Dryden, et les appliqua avec de très faibles changemens à la gloire de son fameux pseudonyme.