Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/442

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

feinte et l’audace, la flatterie et la fierté, il savait tout supporter, tout oser, tout feindre, et arrachait à l’admiration ce qu’il n’aurait pu obtenir de la confiance. Telle est l’insaisissable souplesse de sa politique que des historiens différens le peignent au même moment de sa vie, les uns comme le chef des whigs, les autres comme l’espérance des Stuarts. Il ne refusait le mensonge de ses promesses à personne, poussait la duplicité jusqu’à la perfidie, et ne se dévouait qu’à sa fortune, dont sa gloire même était un instrument. Saint-John, qui a fini par être l’ennemi le plus direct de sa politique, mais dont l’imagination était séduite par son génie, a, longtemps après avoir succombé dans la lutte, écrit qu’il le regardait « comme le plus grand général et le plus grand ministre que son pays et peut-être aucun pays eût produit. » Un jour, en France, on rappelait devant lui l’avarice trop souvent reprochée au vainqueur de Blenheim, et Bolingbroke exilé, proscrit pour l’avoir combattu, répondait : « C’est un si grand homme, que j’ai oublié ses vices. »

En 1705, le secrétaire de la guerre pouvait les connaître, mais songeait encore moins à s’en souvenir. C’était une bonne fortune pour un orateur que d’avoir à défendre le budget des exploits d’un tel capitaine. Entraîné dans le mouvement d’une guerre qu’on a pu justement appeler une guerre whig, il semble qu’à cette époque Saint-John négligeait, un peu ces distinctions de parti et coopérait avec ardeur à une politique qu’il devait bientôt sévèrement juger et arrêter dans son essor. Il écrivait à Marlborough : « Nous espérons bien que les Hollandais se rendront aux désirs de votre grâce, sans quoi la guerre devient un jeu pour nos ennemis et ne peut finir que par une mauvaise paix, qui est notre ruine certaine. » Le gouvernement dont il était membre commençait à se croire assez fort par ses succès pour s’élever, au moins en apparence, à une neutralité supérieure à toutes les opinions. La grande personnalité de Marlborough tendait à s’affranchir de tous les liens des factions, et la sagesse de Godolphin aurait ambitionné de pouvoir être impartiale. On résolut donc qu’aux élections prochaines (octobre 1705) les ministres assisteraient en spectateurs. Les tories n’étaient pas habitués à cet abandon, et l’église, en sonnant l’alarme, avertit les dissidens, qui portèrent des candidats modérés. Les whigs, reprenant confiance, déployèrent une grande activité. Le vent de l’opinion avait changé, et les élections en fournirent la preuve. Godolphin comprit ce signal. Il n’y avait plus dans le cabinet de tory extrême que le garde du grand sceau, sir Nathan Wright, méprisé de tous les partis, Godolphin le remplaça par William Cowper, légiste renommé, qui passait pour le meilleur orateur des whigs modérés, et dont le nom est encore placé non loin de celui de Somers dans la mémoire du parti. Quand la chambre des