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prison, et se contenta de lui interdire la chaire pour trois ans et d’ordonner que ses sermons fussent brûlés en présence du lord-maire et des shériffs de Londres. Cette sentence modérée fut accueillie comme un acquittement. C’est le procès qui parut condamné. Sacheverell eut tout ensemble l’attitude d’un vainqueur et celle d’un confesseur de la foi. Il fut promené en pompe dans les rues de Londres, alla solennellement rendre des actions de grâces dans toutes les églises, reçut les hommages de la Cité, un cadeau de 3,000 guinées d’un prosélyte anonyme, et après avoir vu sa gloire célébrée par les feux de joie, par les cris de la populace, il partit, martyr sans martyre, héros.sans héroïsme, pour une tournée triomphale dans les comtés, où il fut accueilli par des cavalcades, des harangues, des salves d’artillerie et de cloches, des banquets et des illuminations. « Les ministres avaient un curé à rôtir, a dit Bolingbroke, et ils l’ont rôti à un feu si violent, qu’ils s’y sont brûlés eux-mêmes. »

« La partie est gagnée, » s’était écrié Harley en apprenant à la campagne, où il était à table avec des amis, l’affaire de Sacheverell ; et faisant sur-le-champ atteler ses chevaux, il était retourné à Londres. Là il n’avait rien négligé pour attiser le feu de la passion publique en faveur d’un homme qu’il ne voulut pourtant défendre à la chambre qu’en se moquant de ses sermons. Il savait que la reine, après les avoir blâmés devant Burnet, les prenait fort à gré. Elle ne déguisait plus son intérêt pour ce nouvel apôtre de sa prérogative. Cachée dans une tribune particulière, elle avait assisté au procès ; elle s’était refusée à toute répression sévère contre les émeutes qui avaient menacé les maisons de quelques-uns des accusateurs et des juges. Enfin elle était tellement outrée contre ses ministres, qu’elle voulut voir Harley. Par les soins de mistress Masham, de secrets entretiens leur furent ménagés. Harley était méfiant ; il se tint sur ses gardes. Anne se plaignit de sa réserve ; elle n’osait le lui dire, elle le lui écrivit. Un soir, il reçut une lettre toute salie des mains d’un commissionnaire qui lui dit la tenir d’un jardinier de Kensington. Cette lettre faisait connaître les embarras de la reine, l’exhortait à s’expliquer librement, lui demandait prompte assistance. Mistress Masham ouvrit de nouveau son escalier dérobé, Harley, avec sa prudence ordinaire, ne parla pas à la reine d’un changement total ; il dit seulement qu’il serait bon de revenir à un système moins exclusif, à une politique de modération, que la reine ne pouvait être esclave d’un parti, qu’il fallait qu’elle fût maîtresse d’accorder ses bonnes grâces à qui les méritait, à des partisans de la haute comme de la basse église, et qu’elle devait peu à peu réduire le pouvoir exorbitant de Godolphin et de Marlborough, en reprenant la libre disposition des emplois. On convint qu’elle saisirait la première occasion