fait est que la population des États-Unis n’en était pas à faire son apprentissage de la liberté. Cette société si jeune encore, était, pour l’éducation politique, au niveau, sinon en avance de l’Angleterre elle-même. L’Amérique avait faiblement ressenti le contre-coup des révolutions de la métropole. Le puritanisme, faisant prévaloir dans la société civile les idées et les formes de son organisation religieuse, avait pu développer presque sans résistance les principes démocratiques qu’il contient en germe : la nécessité, cette incomparable maîtresse, avait enseigné aux colonies à s’administrer et à se défendre elles-mêmes. Enfin le pouvoir royal, représenté par des gouverneurs changés à tout instant et sans cesse incertains du lendemain, avait toujours été faible, précaire, hors d’état de mettre obstacle aux progrès de l’esprit de liberté.
Si le parlement d’Angleterre rencontra en Amérique des adversaires habiles et décidés qui ne faiblirent jamais et qui lui rendirent coup pour coup, c’est que la lutte contre la métropole avait été précédée, comme préparation et comme apprentissage, par la lutte obscure des assemblées provinciales contre les gouverneurs, qui représentaient ou la royauté ou les propriétaires féodaux. Il n’était pas une assemblée coloniale qui ne prétendit, vis-à-vis du gouverneur, à tous les droits que le parlement anglais exerçait vis-à-vis de la couronne. Cette lutte commença avec les premières années du XVIIIe siècle, et se termina presque partout, vers le milieu du siècle, par le triomphe des assemblées. Le lendemain de leur victoire, les assemblées se trouvèrent en face du parlement et l’affrontèrent avec le même succès. Les journaux américains, qui exercèrent une influence décisive sur cette seconde lutte, avaient eu une part modeste, mais réelle, à la première.
Jefferson n’a point dédaigné d’écrire l’histoire des démêlés de la Virginie avec ses gouverneurs. Lui-même y avait pris une part active, et c’est la réputation d’écrivain et d’orateur qu’il s’y était faite qui lui valut d’être envoyé, malgré sa jeunesse, au congrès continental, pour y représenter la province, C’est également au milieu de ces luttes obscures que Patrick Henry acquit cette popularité qui lui permit d’exercer une action décisive sur l’esprit de ses compatriotes aux jours de la révolution. On connaît déjà le rôle joué par Franklin dans l’histoire intérieure de la Pennsylvanie ; deux ouvrages publiés par lui en Angleterre, et dont l’un eut à Londres même deux éditions, font connaître dans le plus grand détail tous les points en litige entre les colons et les descendans de Penn, demeurés propriétaires de la province. Ces deux ouvrages sont en quelque sorte le résumé de la polémique soutenue pendant trente ans par Franklin en faveur du parti populaire, depuis le jour où il devint maître de la Gazette de Pennsylvanie. C’est l’influence acquise par Franklin, comme l’écrivain et la sentinelle vigilante du parti colonial, qui lui valut d’être envoyé à l’assemblée, et de voir chaque fois sa réélection combattue avec acharnement par les gouverneurs. On réussit enfin à l’écarter de l’assemblée ; mais celle-ci le vengea noblement en le chargeant d’aller défendre à Londres, devant le conseil du roi et devant le parlement, les intérêts qu’on avait voulu priver de son appui.
Nulle part la lutte entre l’assemblée coloniale et les gouverneurs royaux ne fut plus vive et plus obstinée que dans la colonie de New-York. Cette lutte y trouvait pour alimens les traditions libérales soigneusement conservées par