Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/525

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la législation est très considérable sur les mœurs, on ne saurait nier à plus forte raison celle de la religion ; mais d’un autre côté il faut que toutes les conditions soient portées en ligne de compte, il faut savoir pourquoi tel climat, telle race, telle religion, produisent en Irlande des effets qu’on ne saurait leur imputer ailleurs. En Irlande, tout est original ; le climat, l’aspect des lieux, la nature des caractères, le tour de l’esprit et les élémens contraires y sont dans un état de lutte constant. Pour donner une idée exacte de la situation de ce pays, il faudrait, pouvoir à la fois le peindre en touriste et le juger en philosophe. Chacun se fait une idée de ce qu’on appelle un climat tempéré, un climat du nord, un climat du midi ; celui de l’Irlande n’a de rapports avec aucun des trois. C’est d’abord le climat d’une île et ensuite celui du nord-ouest ; cela veut dire des journées d’hiver chaudes comme celles d’été et des jours d’été froids comme ceux d’hiver ; beaucoup de pluie, toujours du vent et peu de soleil, une température variant plusieurs fois dans le cours d’une journée et plus égale qu’aucune autre relativement aux différentes saisons de l’année. « C’est un charmant climat que celui-ci, me disait un Irlandais. Nous n’avons jamais ni froid ni chaleur ; le vent sèche la terre et supplée le soleil. » Lorsque le vent d’est ne règne pas, l’atmosphère est imprégnée d’une humidité pénétrante. Les jours de pluie, très communs, ne sont pas même les plus humides. L’hiver, quand souffle la tempête, on se croirait en mer, tant le vent sévit avec violence, et les gens sortent de leurs cabines pour apprécier les ravages de l’ouragan, comme un marin à la cape examine les avaries qu’il devra réparer dès que le calme sera revenu ; mais, à la première éclaircie, sans avoir éprouvé les rigueurs des contrées septentrionales, on a toutes les jouissances de leurs printemps magiques. L’air est doux, la terre est couverte d’herbes et de fleurs : il n’est pas de chose plus délicieuse et plus rare qu’un beau jour d’Irlande. Si le ciel est bas, tellement bas qu’on aurait envie de se baisser pour voir au loin, ces nuages venus des extrémités de l’Atlantique déroulent presque au niveau du sol des formes d’une ampleur grandiose, et en dépit de la latitude, l’épaisseur leur donne des couleurs si puissantes, que les teintes paraissent chaudes. Au lever du soleil (qui se lève tard ici en hiver), tandis que l’éclat de la lumière est encore intercepté par la couche épaisse des nuages, quelques rayons brisés frappent celle-ci par en bas et produisent des effets de couleur d’une violence admirable. C’est qu’aussi en Irlande, le fluide humide est toujours en mouvement ; on y connaît à peine les brouillards épais de l’hiver, bien que dans les beaux jours d’été une brunie de chaleur intercepte souvent les rayons du soleil, comme si on était sous les tropiques.