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jurée et de la commune régie par des consuls divisa donc le royaume du nord au sud sans rien ôter d’ailleurs, par sa diversité, à la puissance du grand mouvement émancipateur. Ces conquêtes étaient arrachées par la force ou achetées à prix d’argent, suivant la résistance que faisaient les seigneurs ou les charges dont ils étaient grevés, et les chartes, gages et monumens de ces populaires victoires, assuraient aux bourgeois qui les avaient scellées de leur sang une sorte de souveraineté dans l’enceinte des villes analogue à celle que les barons exerçaient sur les campagnes. Quelle que fût la forme extérieure sous laquelle se traduisit l’idée d’affranchissement, il s’agissait toujours de ramener au régime public de la cité et sous la garantie des conventions écrites tous ceux qui vivaient antérieurement sous la juridiction illimitée des chefs de la hiérarchie territoriale.

Parvenus à ce point de l’histoire, nous touchons au doigt la racine des temps et des intérêts modernes. « La bourgeoisie, nation nouvelle, dit M. Thierry, dont les mœurs sont l’égalité civile et l’indépendance dans le travail, s’élève entre la noblesse et le servage et détruit pour jamais la dualité sociale des premiers temps féodaux. Ses instincts novateurs, son activité, les capitaux qu’elle accumule, sont une force qui réagit de mille manières contre la puissance des possesseurs du sol, et, comme aux origines de toute civilisation, le mouvement recommence par la vie urbaine. L’action des villes sur les campagnes est l’un des grands faits sociaux du XIIe et du XIIIe siècle ; la liberté municipale à tous ses degrés s’écoula des unes sur les autres, soit par l’influence de l’exemple et la contagion des idées, soit par reflet d’un patronage politique ou d’une agrégation territoriale. »

Nul n’a peint avec des couleurs plus vives que M. Thierry le grand tableau de l’affranchissement des communes. Les Lettres sur l’histoire de France avaient depuis longtemps popularisé ces pittoresques annales de Vézelay, de Reims et de Laon, auxquelles l’historien du tiers-état vient d’ajouter une œuvre de science et d’art bien plus complète encore en nous donnant la monographie de la constitution communale d’Amiens. Le panégyriste des classes moyennes s’arrête avec une complaisance bien naturelle sur cet âge héroïque de la bourgeoisie, qui est demeuré en même temps la période la plus politique de son histoire. La bourgeoisie se jeta en effet avec un admirable entrain dans le grand mouvement d’émancipation des XIIe et XIIIe siècles, parce que ce mouvement, bien qu’inspiré par une pensée générale et généreuse, avait pour elle l’extrême avantage de demeurer local et de ne se lier qu’à ses intérêts propres. C’est pour cela qu’il fut, bien plus que les autres crises dans lesquelles la bourgeoisie a eu un rôle, inspiré de son esprit et marqué à son empreinte. Des nombreuses révolutions que cette classe de la société a tentées,