ses progrès matériels, mais en faussant la direction de ses idées et en la déshabituant des affaires et des intérêts de la vie publique. Une seule force lui fut donnée pour contrebalancer ces pertes immenses, la force d’opinion, dont Paris était le centre, l’instrument nécessaire et presque exclusif. Cette force-là grandissait, il est vrai, chaque jour, et devait, à travers les crises intellectuelles de deux siècles aboutir à l’explosion suprême de 1789 ; mais la bourgeoisie arrivait alors au pouvoir dans les conditions les plus funestes : elle n’était plus rien, et se croyait destinée à être tout. Elle ne disposait plus d’aucune force, ni dans la cité, ni dans la province, au moment où le royaume tout entier tombait à sa merci, et où il lui était donné de le bouleverser de fond en comble. Impuissante pour la résistance, même la plus légitime, la bourgeoisie n’était forte que pour l’agression ; la force d’opinion, qui avait remplacé toutes les autres, devenait entre ses mains une force toute révolutionnaire, et cette puissance même mettait le tiers-état à la discrétion de la capitale, dont l’action désastreuse, après avoir provoqué ses premiers échecs aux XIVe et XVe siècles, allait lui préparer au XVIIIe des épreuves mille fois plus cruelles encore. L’illustre écrivain ne s’étonnera donc pas si je considère l’établissement du pouvoir absolu en France comme une calamité nationale également funeste à toutes les classes de la société, et si je n’estime pas comme lui que la nation doive se consoler philosophiquement, par les coups portés à la noblesse et par l’abaissement des ordres privilégiés, des atteintes non moins irréparables portées à la moralité politique de la bourgeoisie.
L’atonie des provinces, contrastant avec l’agitation fébrile de la capitale, fut le résultat principal de cette situation nouvelle. Ce fait, dont la nation a subi si souvent les désastreuses conséquences, commence de se produire dès le XVIIe siècle. Sous la minorité de Louis XIII comme sous celle de Louis XIV, Paris remua à peu près seul, et la France indifférente le regarda faire, disposées recevoir sans plus de résistance que de sympathie la loi des vainqueurs, selon le succès de misérables intrigues qui ne dépassaient pas le rayon de la cité et des halles. Entre la génération bourgeoise qui donnait les mains à la fronde pour des intérêts privés fort étrangers aux siens - et celle qui avait organisé la ligue, il y avait toute la différence qui sépare une grande cause religieuse et nationale d’une inspiration égoïste et d’un accès de vanité. La noblesse seule, cette fois, savait ce qu’elle voulait ; les grands seigneurs espéraient se faire payer leurs dettes, les grandes dames attendaient de grosses charges pour leurs amans. La magistrature, tête de la bourgeoisie parisienne, s’engagea dans ces conflits stériles sans aucun but nettement déterminé, par ce seul besoin d’influence et d’agitation qui allait devenir l’élément principal de sa vie,