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MINA DE WANGEL.[1]




Mina de Wangel naquit dans le pays de la philosophie et de l’imagination, à Koenigsberg. Vers la fin de la campagne de France, en 1814, le général prussien comte de Wangel quitta brusquement la cour et l’armée. Un soir, c’était à Craonne, en Champagne, après un combat meurtrier où les troupes sous ses ordres avaient arraché la victoire, un doute assaillit son esprit : un peuple ; a-t-il le droit de changer la manière intime et rationnelle suivant laquelle, un autre peuple veut régler son existence matérielle et morale ? Préoccupé de cette grande question, le général résolut de ne plus tirer l’épée avant de l’avoir résolue ; il se retira dans ses terres de Kœnigsberg.

Surveillé de près par la police de Berlin, le comte de Wangel ne s’occupa que de ses méditations philosophiques et de sa fille unique Mina. Peu d’années après, il mourut, jeune encore, laissant à sa fille une immense fortune, une mère faible et la disgrâce de la cour, — ce qui n’est pas peu dire dans la fière Germanie. Il est vrai que, comme paratonnerre contre ce malheur, Mina de Wangel avait un des noms les plus nobles de l’Allemagne orientale. Elle n’avait que seize ans ; mais déjà le sentiment qu’elle inspirait aux jeunes militaires qui faisaient la société de son père allait jusqu’à la vénération et à l’enthousiasme ; ils aimaient le caractère romanesque et sombre qui quelquefois brillait dans ses regards.

Une année se passa : son deuil finit, mais la douleur où l’avait jetée la mort de son père ne diminuait point. Les amis de Mme de Wangel commençaient à prononcer le terrible mot de maladie de poitrine.

  1. Nous extrayons encore cette étude des écrits posthumes de M. Henri Beyle [de Stendhal) : quelques tons un peu crus, que l’auteur eût sans doute adoucis, ne nous ont point paru en affaiblir l’intérêt.