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taillés pour la course ; ils glissent si rapidement sur l’eau, que par une nuit obscure on ne saurait distinguer le bruit de leur sillage ni deviner leur approche. Dans une escadre de pirates, Les pros, avec leur artillerie et leur nombreux équipage, représentent en quelque sorte les vaisseaux de ligne, et les bangkongs, plus légers et plus vites, remplissent l’office d’espions pour découvrir l’ennemi et d’éclaireurs pour diriger la route. Les rôles sont donc très régulièrement distribués quand une balla ou flotte de pirates (et parfois la flotte dépasse cent bateaux) entreprend une croisière sur la côte.

Lorsque le Mœander se munira à Bornéo en 1849, les Serebas, qui commençaient à oublier le passage de la frégate Dido, préparaient avec les Sakarrans une nouvelle expédition. On avait ramené captif à Sarawak un jeune Malais arrêté en mer sur une petite barque qui s’en allait à la dérive. Cet indigène, qui appartenait à la tribu des Serebas, avoua très naïvement qu’étant embarqué sur une balla, il était descendu à terre pour s’y procurer le plaisir de couper quelques têtes [to procure a few heads for his private gratification), et qu’à son retour il avait trouvé la flotte partie ; il s’était alors déterminée à prendre un canot pour remonter la rivière, mais le courant l’avait entraîné. Le prisonnier fut remis en liberté sous caution. — Quelques jours après, on fut informé que la balla des Serebas venait d’entrer dans la rivière Sadong et qu’elle y commettait les plus affreux ravages. Les pirates avaient fort habilement choisi le moment de la moisson, alors que les hommes sont répandus dans les champs et que les femmes et les enfans restent seuls dans les cases ; Le pays fut complètement ruiné. À cette nouvelle, le rajah Brooke arma sa flottille indigène de cinquante-cinq pros, embarqua dix-huit cents hommes, convoqua ses auxiliaires dans les tribus voisines et se mit en campagne ; mais les pirates, dont la police est toujours admirablement servie, s’étaient dérobés à sa poursuite, et cette démonstration demeura à peu près sans résultat.

Cependant, on supposait avec raison que les Serebas et les Sakarrans, leurs alliés, dont les ballas réunies comptaient plus de deux cents pros, ne se tiendraient pas pour battus. On équipa à Sarawak une nouvelle flottille qui fut renforcée par le Royalist, la Némésis, par les embarcations de l’Albatros, et placée sous le commandement de capitaine Farqubar. On bloqua les embouchures des rivières Serebas et Kaluka, où l’on savait que les pirates venaient de pénétrer, et l’on attendit l’ennemi au retour. Dans la nuit du 31 juillet, la balla fit son apparition. Dès qu’elle fut signalée, toutes les embarcations de la croisière, échelonnées sur un espace de près de dix milles, se disposèrent pour l’attaque, qui eut lieu à l’entrée de la rivière Serebas. Les pirates voulurent forcer le passage : ils furent immédiatement assaillis par un feu bien nourri qui partait de toutes les directions. La confusion, augmentée par l’obscurité de la nuit, se mit dans leur flottille ; une centaine de leurs pros furent coulés ou échouèrent, et on évalue à cinq cents le nombre de leurs morts ; les survivans s’échappèrent à force de rames ou se réfugièrent dans les jungles du rivage, qui leur offraient un abri presque inaccessible.

C’était un coup terrible porté à la tribu des Serebas ; cependant il fallait que la leçon fût complète, et on résolut de pousser une reconnaissance sur