Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/719

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ministres actuels : ils me tourmentent à mort pour avoir mon assistance, font reposer là-dessus tout le poids de leurs affaires, et puis ils laissent échapper toutes les occasions. »


IX

La situation des choses n’était pourtant pas des plus simples. Il fallait satisfaire et contenir à la fois tout un parti. » Harley, disait Swift, est comme un isthme entre les whigs et les tories violens. » En écrasant de puissans adversaires, on devait éviter de s’en faire de nouveaux ; défendre la monarchie de 1688, ménager ses ennemis, maintenir la maison de Hanovre en s’appuyant sur des jacobites ; exciter et contenter la passion de la paix, en poussant la guerre avec une vigueur suffisante ; essayer enfin d’anéantir les amis de Marlborough, sans attaquer Marlborough, et de lui laisser son commandement en annulant son influence. Et toute cette tâche si compliquée devait être menée à bien par un ministère dont le chef apparent était un homme d’un esprit étroit, de formes rudes, sans pénétration, sans dextérité, car tel était Rochester. Mais Harley avait éminemment tout ce qui lui manquait, et cependant on doute que Harley eût réussi, même pour un temps, si Bolingbroke n’avait été ministre des affaires étrangères.

Saint-John, tombé du pouvoir, disait avec une certaine ingénuité : » J’ai bien peur que nous ne soyons arrivés à la cour (au ministère) avec les dispositions qui animent tous les partis, que le principal ressort de nos actions n’ait été le désir d’avoir dans nos mains le gouvernement de l’état, que nos principales vues n’aient eu pour objet la conservation de ce pouvoir, de grands emplois pour nous, de grands moyens de récompenser ceux qui avaient servi à notre élévation et de frapper ceux qui s’y étaient opposés ; » mais il ajoute : « Il est vrai cependant qu’à ces considérations d’intérêt privé et d’intérêt de parti, il s’en mêlait d’autres qui avaient pour objet le bien public, ou du moins ce que nous regardions comme le bien public. »

Nous dirons, d’après lui, comment on pourrait concevoir la politique générale dont il devint le principal instrument.

Celle de Guillaume III avait été une politique personnelle. Elle subordonnait le roi d’Angleterre au stathouder des Provinces-Unies, ou plutôt la grande pensée d’une nouvelle union d’états réformés, Angleterre, Hollande, Écosse, Irlande, union dont il aurait été le fondateur et le chef, d’une sorte de république protestante, rivale de la monarchie absolue et catholique de Louis XIV, dominait cet ambitieux esprit, et les forces, les partis, les institutions de son nouveau royaume, n’étaient pour lui que des moyens plus ou moins efficaces