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les opérations de la campagne. Les pièces de l’échiquier étaient déplacées. On avait vu, par ce revirement subit, Ormond se concerter avec Villars et gêner ou desservir Eugène ; on avait vu les auxiliaires à la solde des Anglais les déserter pour suivre le drapeau de la coalition. La médiation dont l’Angleterre s’emparait de vive force n’était acceptée de personne, et les conditions annoncées semblaient peu propres à la rendre désirable. La France devait reconnaître formellement la succession protestante dans la maison de Hanovre et forcer le prétendant à quitter son territoire. Philippe V était accepté pour roi des Espagnes et des Indes moyennant renonciation solennelle de sa part à tous droits à la couronne de France, et de la part des ducs de Berry et d’Orléans à tous droits à la couronne d’Espagne. L’Angleterre garderait Gibraltar et le Port-Mahon. Dunkerque devait être démoli. Un traité de commerce serait conclu. La Hollande aurait les frontières et les agrandissemens convenables. Le duc de Savoie prendrait la Sicile, et ses états deviendraient un royaume. Les Pays-Bas, Naples, la Sardaigne, une partie de la Toscane et de la Lombardie, passeraient à l’empereur. Des accroissemens de territoire étaient indiqués pour les électeurs de Bavière et de Cologne. En soi, ces conditions étaient assez équitables : de la part de l’Angleterre, elles pouvaient passer pour modérées. Jamais, je crois, en de telles circonstances Guillaume III n’eût consenti à laisser un Bourbon à Madrid. Après Oudenarde et Malplaquet, on pouvait croire que l’ascendant de Marlborough, et certainement une victoire de plus, eût réduit la France à de bien autres sacrifices. L’orgueil britannique avait pu espérer et Louis XIV redouter bien davantage. Il sortait de la lutte vaincu, médiocrement affaibli, point humilié. C’était peu pour la haine trop implacable d’une nation rivale, trop légitime d’une nation protestante, contre un roi conquérant et persécuteur. Cependant la paix ainsi faite était encore avantageuse, et une politique très généreuse pouvait s’en contenter ; mais l’électeur de Hanovre professait qu’il ne se séparerait pas de l’empereur, mais l’empereur se disait lésé dans le partage, mais la probité des Hollandais déclarait qu’elle n’accepterait pas un traité refusé de leurs alliés. N’importe, toute résistance venait trop tard. Le cabinet anglais ne pouvait plus s’arrêter ; la trêve allait expirer. Il ne restait plus qu’à en finir séparément avec la France, l’Espagne et la Savoie, et Bolingbroke partit pour Paris.


CHARLES DE REMUSAT.