Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/760

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
754
REVUE DES DEUX MONDES.

— En me réveillant, je reconnus peu à peu les points voisins du lieu où je m’étais égaré dans la nuit. À ma gauche, je vis se dessiner la longue ligne des murs du couvent de Saint-S…, puis de l’autre côté de la vallée, la butte aux Gens-d’Armes, avec les ruines ébréchées de l’antique résidence carlovingienne. Près de là, au-dessus des touffes de bois, les hautes masures de l’abbaye de Thiers découpaient sur riiorizon leurs pans de muraille percés de trî’lles et d’ogives. Au-delà, le manoir gothique de Pontarmé, entouré d’eau conuïie autrefois, reûéta bientôt les premiers feux du jour, tandis qu’on voyait se dresser au midi le haut donjon de la Tournelle et les quatre tours de Bertrand-Fosse sur les premiers coteaux de Montméliant.

Cette nuit m’avait été douce, et je ne songeais qu’à Sylvie ; cependant l’aspect du couvent me donna un instant l’idée que c’était celui peut-être qu’habitait Adrienne. Le tintement de la cloche du matin était encore dans mon oreille et m’avait sans doute réveillé. J’eus un instant l’idée de jeter un coup d’œil par-dessus les murs en gravissant la plus haute pointe des rochers ; mais en y réfléchissant, je m’en gardai connue d’une profanation. Le jour eu grandissant chassa de ma pensée ce vain souvenir et n’y laissa plus que les traits rosés de Sylvie. « Allons la réveiller, » me dis-je, et je repris le chemin de Loisy.

Voici le village au bout de la sente qui côtoie la forêt : vingt chaumières dont la vigne et les roses grimpantes festonnent les murs. Des fileuses matinales, coiffées de mouchoirs rouges, travaillent réunies devant une ferme. Sylvie n’est point avec elles. C’est presque une demoiselle depuis qu’elle exécute de fines dentelles, tandis que ses parens sont restés de bons villageois. — Je suis monté à sa chambre sans étonner personne ; déjà levée depuis longtemps, elle agitait les fuseaux de sa dentelle, qui claquaient avec un doux bruit sur le carreau vert que soutenaient ses genoux. « Vous voilà, paresseux, dit-elle avec son sourire divin, je suis sûre que vous sortez seulement de votre lit ! » Je lui racontai ma nuit passée sans sommeil, mes courses égarées à travers les bois et les roches. Elle voulut bieu me plaindre mi instant. « Si vous n’êtes pas fatigué, je vais vous faire courir encore. Nous irons voir ma grand’tante à Othys. » J’avais à peine répondu, qu’elle se leva joyeusement, arrangea ses cheveux devant un miroir et se coiila d’un chapeau de paille rustique. L’innocence et la joie éclataient dans ses yeux. Nous partîmes en suivant les bords de la Thève à travers les prés semés de marguerites et de boutons d’or, puis le long des bois de Saint-Laurent, franchissant parfois les ruisseaux et les halliers pour abréger la route. Les merles sifflaient dans les arbres, et les mésanges s’échappaient joyeusement des buissons frôlés par notre marche.