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traitant avec quelque sévérité les systèmes anciens d’enseignement. Après tout, ces systèmes ne sont pas les seuls coupables, et s’ils ont fait des générations ambitieuses et impuissantes, ils en ont fait aussi de grandes et d’illustres, même dans ce siècle. Quoi qu’il en soit, le grand-maître de l’université ouvrait l’autre jour la carrière à une jeunesse nouvelle, et c’est sans doute pour mieux l’initier d’avance à la vie publique qu’il l’entretenait de la politique extérieure. Pauvres jeunes gens ! ils auront en effet à les résoudre, ces terribles questions, celles-là et bien d’autres encore d’où dépend l’avenir de notre pays et de l’Europe. Cela nous faisait souvenir d’un discours qu’un homme dont nous parlions il y a quelque temps, Jouffroy, prononçait à pareil jour, devant des enfans réunis pour la même solennité. Il leur parlait avec un accent de sévérité émue, et mélancolique, il leur montrait au sortir du collège la vie rude, le devoir difficile, le but lointain et le bonheur presque nulle part, si ce n’est dans un autre monde. « Vous pourriez me dire comment on imagine la vie, ajoutait-il, je peux vous dire comment elle est. » Étranges paroles peut-être dans une distribution des prix ! Mais enfin n’ont-elles point leur à-propos dans des temps comme le nôtre, où chaque génération qui vient court au-devant des déceptions ? La génération même qui s’élève aujourd’hui et qui entre à peine dans la vie n’a-t-elle pas sa laborieuse tâche à remplir, des obstacles de tout genre à surmonter, presque des impossibilités à vaincre ? N’a-t-elle pas à raffermir en elle le sentiment moral, le culte des idées saines ? Ne voit-elle pas s’ouvrir une carrière où elle a à se refaire elle-même sa destinée, où elle a à multiplier les efforts dans la politique comme dans les lettres ?

Quoi qu’il arrive en effet, dans un pays comme la France, la vie intellectuelle occupe toujours une grande place, la première peut-être ; il est même des momens où c’est la moitié de la vie politique. À quoi servent les productions de l’esprit, si ce n’est à montrer les tendances qui se succèdent, les influences qui déclinent, les goûts qui se réveillent, en un mot l’ensemble d’une époque dans son mouvement le plus intime et le plus secret ? Aussi bien cette vie littéraire est comme une galerie, où mille apparitions passent et s’enfuient rapidement ; les figures d’hier ne sont plus celles de demain, les œuvres qui ont eu un jour de retentissement vont souvent mourir dans le silence et dans l’oubli. Combien y a-t-il de noms et d’ouvrages qui restent ? Le tout est de saisir cette vie étrange dans sa confusion, de démêler les symptômes féconds, de flétrir les corruptions de l’esprit, de résister aux engouemens, de marquer d’un trait l’œuvre durable et sincère. C’est la tâche de la critique de notre temps, tâche qui n’est point sans difficultés au milieu des déviations intellectuelles et des défaillances du goût. M. Edmond Texier est un de ceux qui se sont faits les libres et ingénieux observateurs de tout ce mouvement dans ses Critiques et Récits littéraires. Ce n’est point une critique dogmatique, jugeant souverainement dans les scrupuleuses balances de l’art. C’est de l’observation, comme nous le disions, — une observation qui cherche partout un aliment, qui ne choisit pas, mais qui caractérise rapidement le spectacle, l’événement, le succès littéraire, la renommée du jour. Il en résulte qu’on se retrouve dans son livre au milieu d’un monde assez mêlé. Ses fragmens d ailleurs sont moins des portraits des écrivains dont le nom vient sous sa plume que des esquisses fugitives et souvent spirituelles. C’est ainsi que se