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mais il savait que son sang devait être le ciment d’une nouvelle alliance.

On a prétendu que l’avis de s’éloigner lui avait été secrètement donné par le duc de Marlborough. Il a depuis allégué, pour motiver sa fuite, l’impossibilité où la manière de procéder contre lui le mettait de se défendre ; sa répugnance à chercher son salut dans la protection des tories hanovriens, qui commençaient à revenir sur leurs pas (il dit qu’il aurait mieux aimé le tenir des whigs eux-mêmes) ; enfin l’horreur qu’il éprouvait à voir sa situation assimilée à celle de lord Oxford. « Rien peut-être ne contribua tant à me déterminer que ce sentiment. Un principe d’honneur ne m’aurait pas permis de séparer sa cause de la mienne : extrémité pire que la mort même. »

La haine de Bolingbroke pour Oxford ne s’est en effet jamais démentie. Il écrivait à Swift : « Je ne me pardonnerai jamais d’avoir été si longtemps la dupe d’un orgueil si réel et d’une humilité si gauche, d’une telle apparence d’amitié familière avec un cœur si vide de toute affection, d’un tel penchant naturel à s’emparer des affaires et du pouvoir, et d’une incapacité si parfaite pour conduire les unes, avec une disposition de tyran à abuser de l’autre. Mais assez sur lui : je ne peux l’accuser d’être un coquin sans me convaincre moi-même d’être un sot. »

La haine donne de mauvais conseils, si elle détermina le départ de Bolingbroke. Cette fuite fit scandale. Le danger était réel pourtant : mais le public aime à voir les hommes d’état persécutés poser devant lui dans une attitude intrépide. La retraite de celui-ci parut une faiblesse et un aveu : elle pèse encore sur sa mémoire, et elle a en partie décidé l’histoire à le déclarer coupable.

Douze jours après qu’il avait disparu, Stanhope mit sous les yeux de la chambre des communes les nombreuses pièces relatives aux négociations de la paix d’Utrecht et de la suspension d’armes qui l’avait précédée. Le comité secret de vingt et un membres fut nommé au scrutin pour en prendre connaissance, véritable commission d’accusation dont Walpole était président, et qui procéda avec une activité passionnée. Prior fut un des principaux témoins ; mais, s’il avait promis de tout dire, il ne fit pas de révélations graves, soit qu’il n’eût en effet rien à révéler, soit qu’il n’eût promis de parler que pour acquérir une faveur utile à la défense de son protecteur et de son ami. Il se compromit même au point de se faire arrêter. Néanmoins Walpole, le 9 juin, présenta le rapport du comité. C’était une œuvre habile et passablement concluante. On demanda sans succès l’ajournement de l’examen à douze jours, et Walpole, en son nom, proposa l’accusation de Bolingbroke pour haute trahison. Sa fuite avait découragé tous ses amis. Deux voix s’élevèrent à peine pour le défendre