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tour disparu, le retour du sceptre dans les mains d’Anne Stuart avait semblé une quasi-restauration. Jacques II n’était plus roi pour personne, et son fils était assez jeune pour qu’on pût regarder Anne comme une régente légitime. À l’aide de cette fiction, les jacobites avaient décidé que son gouvernement était de ceux qu’on pouvait servir, mais à une condition, c’est que son règne fût l’heureuse transition qui ramenât dans sa patrie la branche proscrite de la maison royale. Même, sans être jacobite, on pouvait préférer cette manière de pourvoir à la vacance inévitable du trône. Autrement, pour le remplir, il fallait aller chercher dans une famille étrangère une vieille femme inconnue ou plutôt un prince allemand qui ne parlait pas même anglais. Une seule chose recommandait ce prince : il était protestant. Ainsi du côté de Jacques Stuart la nationalité, du côté de George de Brunswick la religion ; on pouvait hésiter dans le choix. Quand l’acte dit d’établissement eut été rendu, la question fut décidée, et, je n’en doute pas, décidée dans le vrai sens de l’opinion nationale, dans le véritable intérêt de la liberté britannique ; mais enfin, même après l’acte d’établissement, qu’est-ce donc qui séparait l’Angleterre des Stuarts ? Une seule loi fondée sur un seul motif, la religion. Que Jacques embrassât la réforme, le motif disparaissait ; que la loi fût rapportée, l’obstacle était levé. On conçoit donc que, sans une perversité bien audacieuse, des esprits livrés aux passions et aux doutes qu’engendrent les temps de parti accueillissent l’idée de ramener les Stuarts au protestantisme et au pouvoir, ou même de préparer l’abrogation d’une loi que pouvait détruire le parlement qui l’avait faite, si seulement des garanties raisonnables étaient données à la religion nationale. On conçoit encore mieux qu’une princesse d’un esprit faible et inquiet, qui croyait avoir perdu tous ses enfans pour s’être réunie aux vainqueurs du roi son père, préférât sa famille à des collatéraux éloignés, et, sans songer à céder son trône, rêvât d’y faire monter son frère après elle. Sans sa dévotion protestante, Anne n’aurait pas hésité. Avec sa dévotion protestante, elle était combattue, incertaine ; mais ses désirs n’étaient pas équivoques, et sa foi même pouvait lui faire espérer la conversion de l’héritier qu’aurait choisi son cœur. Charles Leslie, ministre anglican, écrivain passionné, avait même été envoyé à Bar pour convertir le chevalier de Saint-George, et dans l’été de 1714, il annonçait au moins de sa part de grandes dispositions à la tolérance religieuse, et il s’en montrait satisfait.

Si vous ajoutez à tous ces motifs l’empire moins innocent des intérêts et des passions, l’ardeur du combat, le ressentiment, la crainte. les angoisses de la prévoyance, le désir de passer du côté des événemens, et puis enfin cette impudence de déloyauté que produit l’expérience des révolutions, étonnez-vous qu’Oxford et Bolingbroke aient intrigué avec les Stuarts, lorsqu’il y a des indices historiques