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rappellent à beaucoup d’égards celles des quakers et des méthodistes. L’inspiration y joue un grand rôle. Tout à coup, au milieu de l’office, un des prophètes se sent sollicité par l’Esprit saint. « Voilà, dit-il à haute voix, le fiancé [bridegroom] qui vient, » c’est là leur expression favorite, et il se met à prophétiser. D’autres fois, un fidèle parle des langues étrangères, et le miracle de la Pentecôte se renouvelle assez fréquemment. Souvent aussi ce sont des scènes moins édifiantes. C’est, par exemple, un possédé qu’on exorcise. Dernièrement, dans un village de la Poméranie, à Klein-Schweisen, à la fête de Pâques, tandis que les sectaires, au nombre de quarante, se trouvaient réunis dans l’oratoire et se livraient à des chants et à des prières, l’un d’eux s’écria qu’il se sentait possédé du diable, et supplia les assistans de l’en délivrer au plus vite. Ses coreligionnaires, saisis d’horreur, se munirent aussitôt de bâtons et se mirent à frapper le prétendu possédé à coups redoublés. Le malheureux endura cette bastonnade avec un courage vraiment stoïque, et lorsqu’au bout d’une demi-heure, les coups des exorcistes commencèrent à porter sur la partie supérieure de la poitrine et sur celle du dos qui y correspond : « Tout va bien, leur dit-il, le démon chassé par vos coups n’a cessé de monter, et il se trouve déjà dans mon gosier ; vous n’avez qu’à me serrer le cou, et il s’échappera immanquablement par ma bouche. » C’est ce qu’on fit, et le malheureux rendit l’esprit. Ses coreligionnaires, sans s’émouvoir, portèrent le cadavre dans une chambre voisine, puis ils reprirent leurs chants et leurs prières.

C’est surtout par la crainte de la fin du monde que l’irvingisme fait des progrès. Les grands événemens qui se sont accomplis depuis le commencement de notre révolution s’offrent à l’esprit de beaucoup de gens comme les signes précurseurs de la fin toujours ajournée de l’univers. Cette idée travaille encore de nos jours bien des têtes, précisément celles qui sont le plus tournées au mysticisme et dont la foi est la plus vive. Elle a été très répandue chez les jansénistes depuis la fin du siècle dernier jusqu’au commencement de celui-ci, comme on peut en juger en parcourant leurs écrits, et notamment ceux d’Asfeld, de Duguet et du président Agier. La Babylone dont il est question dans l’Apocalypse n’est pas seulement Rome, disent les Irvingiens. Cette ville n’est qu’une des rues de la Cité de confusion. Le christianisme actuel est la grande Babylone. Le mystère de fornication et d’iniquité est arrivé aujourd’hui à un degré que n’avait jamais atteint la Rome, papale avant la réformation ; mais cet état de choses ne tardera pas à cesser l’église de Rome comme celle d’Angleterre aura sa fin, et Jésus-Christ reprendra lui-même la direction de son église. La Bible seule est insuffisante à gouverner nos cœurs, il faut que l’esprit saint nous éclaire et nous conduise. Les nouveaux saints ne craignent ni la persécution, ni les accusations d’hérésie ; ils justifient hautement leur désaccord avec l’église protestante, comme le fît l’année dernière dans sa défense M. John Canfield Sterling devant l’église épiscopale d’Amérique. Leur langage, leur hardiesse et leurs convictions, nous pouvons dire aussi, pour beaucoup, leur sévère moralité, leur donnent une certaine conformité de physionomie avec les premiers chrétiens.

Le mormonisme a avec la doctrine irvingienne une assez grande ressemblance de principes et même quelque analogie d’organisation, quoique les