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femmes. Les journaux mormons avaient beau démentir ces accusations, elles n’en prenaient pas moins de plus en plus crédit. Et puis le caractère de peuple élu que s’attribuaient les sectaires leur donnait ce même orgueil, cette même aversion des infidèles, qui faisaient détester les Juifs des autres nations. On redoutait d’autant plus les Mormons, qu’ils ne cachaient pas leur espoir d’être un jour maîtres de tout le Missouri. Des germes de dissension et de schisme venaient encore compliquer leur position. Enfin, en juin 1833, un des journaux mormons ayant prêché l’émancipation complète des hommes de couleur, la secte ameuta encore contre elle les partisans très nombreux de l’esclavage. La presse anti-mormonienne signala Smith comme un faux prophète, et fit tout un corps d’accusations des reproches et des calomnies dont les Mormons étaient l’objet. Un meeting de plus de 3,000 personnes prit la résolution unanime de chasser les sectaires du territoire du Missouri, et sur différens points du comté de Jackson de pareilles propositions reçurent une adhésion publique. On signifia à M. Phelps, le rédacteur du journal l’Étoile du soir et du matin, à l’évêque, M. Partridge, et aux principales autorités de la colonie, une adresse fort peu rassurante pour eux. Il s’agissait de leur interdire de s’accroître dans le pays, de leur faire donner caution de leur futur départ du canton qu’ils s’étaient choisi pour patrie, de fermer sur-le-champ leur imprimerie, leurs boutiques et tous leurs magasins. Les Mormons demandèrent un délai pour répondre à une adresse si insolente et si impérative. Il fallait avoir le temps d’écrire à Joseph Smith, dans l’Ohio. Les anti-mormoniens ne voulurent rien entendre. La populace du Missouri s’empara de Phelps, de Partridge et d’un autre saint. Le premier parvint à se soustraire à la fureur du mob ; mais les deux autres furent moins heureux. Suivant la méthode de Lynch (Lychiamn method), ils furent dépouillés de leur vêtement, goudronnés, enduits de plumes et renvoyés dans cet état ridicule. Le lieutenant gouverneur du Missouri, Lilburn W. Boggs, prêta la main à toutes ces violences, et dans certaines églises les Mormons furent signalés du haut de la chaire comme des ennemis du genre humain qu’il fallait à tout prix détruire. Une troupe armée, qui avait arboré le drapeau rouge, en signe de vengeance, annonça les intentions les plus sanguinaires dans le cas où les sectaires n’abandonneraient pas le pays. Toute résistance était impossible. Il fallut capituler, et les Mormons prirent l’engagement de se retirer du Missouri en deux caravanes, à trois mois d’intervalle ; la publication de leur journal cessa : à ces conditions, on respecta leur vie.

Dans cette position critique, les saints expédièrent en toute hâte un des leurs, Cowdery, à Kirtland, auprès du prophète. Un conclave solennel fut tenu. On y décida que l’Étoile du soir et du matin serait continuée à Kirtland, et qu’on créerait en outre un nouveau journal. Puis la résolution fut prise, d’en appeler au nom de la justice à la protection du gouverneur de l’état du Missouri, M. Dunklin ; mais le prophète ne se hasarda pas à faire le voyage fort dangereux de la nouvelle Jérusalem, qui venait de rencontrer son Titus, et suivi de quelques-uns de ses disciples, il alla recruter des fidèles au Canada. L’appel fait au gouverneur Dunklin fut néanmoins écouté. Ce magistral blâma ouvertement les violences que l’on voulait faire aux Mormons, et menaça leurs ennemis de les traduire devant les tribunaux. Le manifeste du