Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/990

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à ses adhérens une confiance qui survit la cause des latter day saints. Ils organisèrent des missions en Angleterre, et en 1843, le nombre des convertis dans la Grande-Bretagne s’élevait déjà à dix mille. L’année suivante, l’un des apôtres, Lorenzo Snow, présentait à la reine Victoria et au prince Albert un exemplaire du Livre de Mormon. Une partie des nouveaux convertis alla joindre ses coreligionnaires et grossir la population, déjà assez considérable, de leur colonie. La construction d’une magnifique église, dont au reste les journaux mormons, qui avaient reparu de plus belle, exagérèrent beaucoup la grandeur et la somptuosité, fut poussée activement. Joseph Smith, qui avait appris en outre par tout ce qui s’était passé combien sa communauté avait besoin d’une force armée, organisa un corps de troupes dont il se fit le lieutenant-général. Il passa plusieurs fois en revue, avec apparat et en présence d’étrangers, cette légion de saints dans laquelle toute sa famille avait reçu des grades.

Le chiffre des Mormons s’élevait alors environ à cent cinquante mille. J. Smith présidait, avec une incroyable activité à l’administration de la colonie, quittant les armes pour examiner les opérations commerciales de la communauté, qui étaient son grand moyen de ressource, ou les cultures, qui prospéraient à vue d’œil, puis abandonnant parfois ses frères pour aller porter chez les sauvages indiens de l’Illinois ce qu’il appelait la parole de vie. Malheureusement cette ère de grandeur ne fut pas de bien longue durée. L’aversion que les sectaires avaient soulevée contre eux dans les comtés de Jackson et de Clay ne tarda pas à se déclarer aussi dans l’état d’Illinois. La puissance des Mormons inspirait d’ailleurs de légitimes appréhensions. Leurs prétentions à se gouverner par eux-mêmes et à décliner l’autorité de l’état fut une première occasion d’hostilité. Leur prospérité commençait à faire un grand bruit dans toute l’Amérique. Joseph Smith ne manquait aucune occasion de se mettre en évidence, il ouvrit une correspondance avec plusieurs hommes d’état éminens de l’Union, et finit même par poser en 1844 sa candidature à la présidence de la république. Loin de le fortifier dans la position qu’il avait prise, cet accroissement de renommée ne l’exposa que davantage aux attaques de ses ennemis. Peu de temps avant la candidature de J. Smith à la présidence, un guet-apens avait déjà été dressé contre lui. Des habitans du Missouri avaient profité de sa présence à Dixon, sur la frontière de cet état et de celui d’Illinois, pour l’enlever par surprise. Plus tard, l’ancien lieutenant-gouverneur Boggs, qui poursuivait les Mormons de sa haine implacable, fit demander officiellement à l’état d’Illinois l’extradition du prophète, afin qu’il pût être jugé devant un jury du Missouri, sous les chefs d’accusation dirigés depuis longtemps contre lui. Comme pour ajouter à tout le merveilleux de cette histoire, une prophétie réalisée d’une manière éclatante vint déjouer les projets perfides de Boggs. Le conseiller J. Arlington Bennett prit la défense des Mormons et engagea les citoyens de l’Illinois à ne point souffrir l’extradition de Smith ; il annonça formellement que les persécutions dirigées contre la nouvelle secte tourneraient bientôt contre leur but, que J. Smith serait mis à mort, mais que cette mort ne ferait qu’accroître le nombre de ses partisans, et que, repoussés de tous côtés, on verrait ceux-ci aller un jour s’établir au-delà des Montagnes-Rocheuses, où ils formeraient un état puissant.