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données de la science : elle se croyait appelée, non pas seulement à frayer les voies au crédit et à donner dans ces régions encore peu connues l’impulsion et l’exemple, mais de plus à fixer, pour ainsi dire d’autorité, le loyer des capitaux dans le pays. Son idéal était une sorte de taux normal de l’intérêt, indépendant des temps, des lieux et des personnes. Comme on avait commandé à la victoire, elle poussait l’illusion du privilège jusqu’à commander à l’argent.

On sait que l’intérêt, dans les prêts d’argent, se compose de deux élémens distincts : le loyer du capital, c’est-à-dire la prime que le capitaliste reçoit pour en céder temporairement l’usage, et la prime d’assurance, qui représente le risque couru par le préteur. Le taux de l’intérêt s’élève ou s’abaisse non-seulement parce que chacun de ces élémens est mobile, mais parce que la proportion suivant laquelle ils se combinent peut varier à l’infini. Aux époques les plus désastreuses, on emprunte à un taux relativement modéré avec un nom qui inspire confiance, tandis qu’un emprunteur dont la solvabilité parait douteuse, même quand le marché regorge d’argent, n’en obtiendra qu’à des conditions exorbitantes. Ce que l’on appelle, en termes de banque, le papier de première valeur se négocie communément à 2 pour 100 par année, lorsque les emprunteurs ordinaires paient 3 1/2 ou 4 pour 100.

Cette échelle, des valeurs a été complètement méconnue par la Banque de France. Elle ne s’est pas bornée à faire du loyer de l’argent une quantité fixe, elle a voulu encore annuler le risque, et, en n’admettant à l’escompte que les effets revêtus de trois signatures, atteindre à la certitude presque absolue du paiement. Il n’y a pas de théorie qui prévale contre la puissance des faits. En refusant de se faire assureur, la Banque n’a pas supprimé la nécessité de l’assurance. Son refus a tout simplement donné naissance à une industrie interlope : la troisième signature est fournie le plus souvent par une maison de banque moyennant une prime de 1/2, de 3/4 ou de 1 pour 100. Le service de l’escompte et en général les opérations de crédit se font ainsi moins directement et plus chèrement, le commerce ayant à subir et à rétribuer plusieurs intermédiaires.

Les plus mauvais systèmes peuvent être corrigés dans la pratique de chaque jour par l’intelligence et par la sagesse des bons chargés de les mettre en œuvre. La Banque de France a fourni une longue et brillante carrière sous l’empire de règles qui auraient pu la perdre, et qui ont à peine arrêté son essor. Cependant il en est résulté quelques conséquences fâcheuses. En premier lieu, la Banque, mise en dehors des grandes affaires, n’a exercé pendant bien des années qu’une influence très limitée sur le crédit public. Joignons à cela que le taux immuable de ses prêts se trouvait rarement en rapport avec les circonstances : la limite de 4 pour 100, trop élevée, dans les époques d’abondance, éloignait alors les emprunteurs solides, et ne laissait, pour remplir le portefeuille, que le rebut des valeurs ; dans les momens de gêne, quand l’argent valait de 5 à 6 pour 100, les emprunteurs affamés se