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Il ne connaissait pas de saison, de distance.
Jour et nuit, chevauchant par les sentiers du mont,
Il allait à Menerbe, à Loris, à Beaumont,
À Reillane, à Grambois, qui sur le roc se dresse,
Partout où l’appelait quelque voix de détresse :
Depuis que sa science et son âme avaient lui.
Le pays tout entier ne réclamait que lui.

Docteur infatigable, en route avant l’aurore,
Par nos âpres chemins je crois le voir encore.
Des plaines aux coteaux, de la montagne au val,
Il cheminait, courbé sur un maigre cheval
Qu’à son trot l’on eût dit brûlant du même zèle.
Deux sacoches « le cuir, qui pendaient à la selle,
Transportaient les juleps apprêtés de ses mains,
Les baumes indiqués pour tous les maux humains.
Je ne sais quel sourire illuminait sa bouche,
Si bon qu’à son aspect le mourant sur sa couche
Se relevait joyeux. Ainsi, toujours dispos,
De chaumière en chaumière il allait sans repos,
Bien souvent invoqué par le château lui-même,
Des pauvres avant tous ami tendre et suprême !
Ce n’est pas aux seuls maux des corps endoloris,
C’est aux chagrins des cœurs, aux besoins des esprits,
Qu’il versait à la fois les dons de sa science.
Les vieillards consultaient sa jeune expérience.
Des parens divisés il rattachait les nœuds ;
Il faisait deux amis de deux voisins haineux.
Nos villages n’ont pas une mère, une veuve,
Pas un être vivant, à qui dans son épreuve
Il n’ait rendu l’espoir. Au lit de l’indigent,
En dictant le remède il ajoutait l’argent.
Le salaire accepté d’une villa princière
Allait aux humbles seuils, offrande nourricière.
Que de touchans récits ne vous ferait-on pas
Des bienfaits que semait cet homme à chaque pas !
Chez le pauvre, où de tout la mémoire tient compte
Aux heures de loisir sans cesse on les raconte.

On rappelle qu’un jour, au plus fort de l’hiver,
Entrant chez un vieillard malade et peu couvert,
De sa propre dépouille il vêtit sa misère.
Et revint sans habit, ainsi qu’un pauvre hère ;
Qu’il rendit à la vie Arnoux, le bûcheron,
Qui, tombé d’un sapin, s’était brisé le front,
Et que, durant six mois, donnant somme après somme.
Le bon docteur nourrit cinq enfans de cet homme ;
Comment il racheta Valentin, le conscrit,
Dont la mère pleurait jusqu’à perdre l’esprit :
Comment, par sa douceur, il rapprocha deux frères
Désunis et plaidant pour intérêts contraires ;
Comment, une autre fois, près de Saint-Saturnin,
Le chasseur Amalbert, tout gonflé du venin
Qu’en lui d’un noir serpent avait mis la morsure,