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proie de l’Égypte ravagée par les Pasteurs, semblable à ces bandes que de la mer Caspienne ou de la Scandinavie, venaient prendre part à la destruction de l’empire romain dans un pareil cataclysme. Les détails géographiques un peu longs placés dans le récit du voyage d’Io, et qu’on a cru devoir justifier en disant que les spectateurs aimaient à cette époque les relations de voyages, n’ont plus besoin de cette justification singulière ; ils rappellent les incidens de la migration, les rencontres vraies ou fabuleuses des Chalybes, des Amazones, des Gorgones, des Phorcydes, des Arimaspes, récits populaires qui se rattachaient au sujet. L’expédition s’arrêtera enfin dans la région triangulaire du Nil, où elle fondera une grande colonie. Là, par le simple attouchement de sa main souveraine, Jupiter lui rendra la raison et le repos ; là Io enfantera le noir Epaphus, c’est-à-dire que de son alliance avec les autres peuplades résultera le règne d’Apophis, qui paraît en effet avoir voulu concilier en Égypte la population vaincue avec celle des conquérans, puisqu’il est le seul dont le nom se trouve inscrit comme Pharaon sur les monumens postérieurs » Cependant, à la cinquième génération, la tribu, venue de la Grèce, y retournera malgré elle pour échapper à l’oppression, ce qui se rapporte clairement à la réaction qui, sous les dix-huitième et dix-neuvième dynasties pharaoniques, finit par débarrasser l’Égypte de la présence des étrangers et par rétablir les vrais Égyptiens jusqu’aux embouchures de leur Nil. La ressemblance frappante entre cette suite de faits et l’histoire des Israélites, depuis Joseph jusqu’à Moïse, a été remarquée il y a longtemps, on a voulu même les identifier et tirer de la tradition grecque un témoignage en faveur de la vérité du récit mosaïque ; mais à quoi bon ? Ce récit n’a pas besoin d’une telle preuve : l’analogie vient de ce que l’événement fondamental, l’invasion des Pasteurs, fut une immense révolution à laquelle tous les peuples de la Méditerranée prirent part, de ce que tous ces divers envahisseurs furent tous également expulsés, de ce que tous par conséquent ont dû conserver des légendes identiques quant aux principales circonstances, — de ce qu’enfin cette révolution a dû engendrer quelque grande épopée qui se sera répandue, plus ou moins modifiée, chez tous les peuples qu’elle concernait, comme plus tard celles d’Attila et de Charlemagne.

C’est donc dans cette longue histoire à venir que le Prométhée d’Eschyle plonge son regard et qu’il aperçoit de loin sa délivrance. « De cette semence, dit-il, germera le fort, l’illustre par son arc, qui me déliera de cette torture : ainsi me l’a prédit ma mère Thémis, l’antique titanide. » Et alors il redouble ses défis et ses menaces : « Oh ! qu’alors Jupiter sera petit, lui si orgueilleux aujourd’hui dans ses pensées ! Il médite un mariage qui le renversera sans qu’il s’en doute du pouvoir et du trône, et nul autre que moi ne peut lui enseigner