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comment la logique des faits, la nécessité des temps, l’utilité publique, amenèrent cette introduction, très légitime en son temps d’une puissance judiciaire théocratique venant en aide à l’enseignement chez des peuples désorganisés ou barbares. Or la judicature égyptienne avait ce caractère particulier, qu’elle jugeait les mœurs aussi bien que les actes. On sait que les rois eux-mêmes n’y échappaient point, qu’à leur mort au moins, s’ils avaient opprimé la justice, elle se redressait à la porte de leur tombeau, en face de leurs funérailles, qu’aujourd’hui encore on voit des noms et des figures de rois martelés sur les monumens où ils les avaient fait sculpter, que grands et peuple étaient soumis à ce jugement final, et l’on comprend sans peine l’impression terrible qui devait en rester dans les imaginations ; mais cette terreur, toute religieuse, provenait surtout de ce que ces arrêts avaient leur sanction dans une vie future. Ce que le sacerdoce avait lié sur la terre était lié dans l’Amenthi ou l’enfer. Pour rendre cette idée sensible, on supposait que la procédure était renouvelée dans l’Amenthi, devant les quarante-deux jurés, en présence d’Osiris ; les vices et les vertus étaient pesés, ce que les Grecs appelaient la psychoslasie ou pesée des âmes. Il y avait l’accusation et la défense, comme dans la procédure des béatifications catholiques, qui est une espèce de psychostasie chrétienne. Toutes ces formalités étaient peintes sur le livre des prières, qui se trouve, plus ou moins abrégé, dans presque toutes les momies, surtout dans les plus anciennes, et que l’illustre Champollion a nommé le rituel funéraire ; ainsi la terreur et l’espérance étaient déposées avec la prière dans le cercueil même du mort par la main de ses parens. Quelle coutume ! quelle profondeur de gouvernement ! et jamais institution destinée à dompter l’esprit, humain a-t-elle poussé si loin ses racines dans tout ce que nous sommes, dans la vie et dans la mort ?

Maintenant déroulons ce rituel funéraire, et en comparant les représentations des juges de l’Amenthi et les fonctions de leur tribunal avec quelques-unes des figurations connues des Euménides et les fonctions qui leur sont attribuées, nous trouverons sans peine que ces deux groupes n’en font qu’un, et que les altérations produites par le temps, la distance et l’esprit national, n’en déguisent que faiblement l’identité primitive. Nous remarquerons même qu’Eschyle, comme pour mieux dévoiler les origines qu’il connaît, se rapproche beaucoup plus qu’on ne le faisait en Grèce du tableau original. En Grèce, les Euménides étaient représentées au nombre de trois, quelquefois de deux ou de quatre, souvent sous un seul corps à plusieurs têtes, ou une tête et six bras ; enfin la multiplicité était indiquée, mais vaguement. Eschyle en porta le nombre à cinquante, et c’est le nombre exact des divinités de l’Amenthi, comprenant les quarante-deux juges, les deux déesses qui introduisent l’âme du mort, Horus