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Il fut plus admirable de patience et de résolution dans la nuit triste (noche triste), quand il sortit de Mexico, sur une étroite chaussée, assailli par une immense multitude, ayant perdu bon nombre de ses Espagnols et toute son artillerie, que lorsqu’il revint prendre Mexico, à la suite d’un siège de soixante-cinq jours, à la tête des soldats qu’on avait envoyés contre lui et de toutes les tribus mécontentes, dont la haine pour les Mexicains était si grande, qu’alors même que les Espagnols étaient fatigués de carnage, ils ne pouvaient empêcher leurs alliés d’égorger et de dévorer leurs ennemis.

Du reste, la cruauté de Cortez fut égale à sa résolution indomptable. Ces hommes étaient ainsi : à force de mépriser pour leur propre compte la douleur et la mort, ils devenaient indifférens à les infliger. Tout le monde connaît le mot adressé par Guatimozin, mis à la torture pour déclarer où étaient ses trésors, au confident qui, livré aux mêmes tourmens, semblait, en regardant son maître, lui demander la permission de parler : « Homme de peu de cœur! et moi, suis-je sur un lit de roses?» On ne sait pas aussi généralement la fin de ce Guatimozin, qui ne succomba point aux tortures du feu, et avec lequel Cortez vécut depuis assez amicalement et comme si rien ne s’était passé, mais qu’il fit pendre un beau jour dans une expédition vers le sud. Avec Guatimozin se trouvait un prince mexicain, nommé Ixtlixochtli[1], qui avait toujours été très fidèle au conquérant, ce qui n’empêcha pas Cortez de donner l’ordre de pendre son frère comme Guatimozin. Ixtlixochtli dormait en ce moment. On vient lui apprendre ce singulier trait de reconnaissance. Aussitôt il accourt, et, au nom de nombreux services rendus, reproche à Cortez d’avoir ainsi disposé de son frère sans le prévenir. « Je comptais en effet vous avertir, répondit négligemment Cortez, mais on m’a dit que vous dormiez, et je n’ai pas voulu vous réveiller. » J’ai trouvé ce singulier détail, qui, plus qu’un autre peut-être, montre chez le vainqueur du Mexique l’insouciance de la vie des hommes, dans le curieux récit écrit par un descendant du prince Ixtlixochtli. La véracité de l’auteur n’est pas suspecte, car, moine et bon catholique, après avoir retracé toutes les horreurs commises par les Espagnols, au lieu de se livrer contre eux à l’indignation qu’elles semblent devoir inspirer, il ajoute pieusement : « Nous ne devons pas nous plaindre de la venue des Espagnols, quelles que soient les cruautés qu’ils ont exercées, car nous leur devons d’avoir échappé à l’idolâtrie et connu le vrai Dieu. »

La guerre de l’indépendance a commencé par un réveil de

  1. Cet allié si dévoué de Cortez lui avait sauvé la vie, et poussait si loin le zèle pour la religion du vainqueur, qu’il menaça un jour sa mère de la brûler vive, si elle ne voulait consentir à être baptisée.