toujours un rayon du dogme universel dans l’apparente confusion des événemens. Si de certaines complications terribles il sort de grands effets tragiques, ces effets ne sont point la doctrine ; ils ne sont que l’un des termes du problème humain ; l’autre n’est jamais loin, au moins dans les poètes qui, interprètes de la pensée commune qui est leur force, traduisent mieux que les philosophes la croyance d’une époque. — C’est à dessein que nous insistons sur cette opinion, d’abord parce qu’elle aboutit à une mauvaise philosophie, ensuite parce qu’elle favorise d’injustes et inutiles préventions contre le génie de l’antiquité, auquel il faut bien pourtant remonter toujours, en dépit de nos progrès et de nos vanités.
Maintenant, si la fatalité n’existe pas avec cet excès qu’on suppose dans les circonstances extérieures à l’homme, le fatalisme existera-t-il dans son âme ? Le quiétisme fataliste est tellement étranger à la nature humaine, qu’il n’est jamais pratiquement qu’à l’état de tendance, et cela chez des peuples soumis à un ordre immobile et despotique, où chacun, ayant sa destinée arrêtée d’avance, n’a plus besoin de vouloir, et roule, comme une machine engrenée aux habitudes faites : encore y a-t-il des démentis soudains à cette résignation, mais quant à la société grecque si aventureuse, rien de plus antipathique, rien de si étranger aux œuvres de son génie. L’individualité puissante qui s’organisa de si bonne heure en républiques troublées et fécondes est le fond de toutes ses poésies, le personnage de tous ses drames. On a dit que Prométhée enchaîné par Jupiter était un tableau fataliste où l’humanité passive résiste sans agir[1]. « L’homme, dit-on, n’agit point véritablement dans Eschyle, ou du moins toute son activité se borne à se soumettre, à se résigner, à succomber sans faiblesse dans la lutte inégale. » Quoi ! être vaincu connue Prométhée, c’est être passif ? L’activité, la liberté n’est-elle que dans les bras ? Prométhée lutte, il menace, il repousse les médiations, rejette les prières, dédaigne son propre supplice ; il répond, comme Emilie dans Cinna, que son ennemi peut tout, qu’il peut ébranler la terre, l’enfer, briser son pauvre corps, mais non le tuer tout entier :
Mais le cœur d’Emilie est hors de son pouvoir.
Serait-ce là être passif ? Le roi des Pélasges qui chasse les Égyptiens, les sept chefs, Oreste, Electre, portent-ils le caractère de la passivité ? N’agissent-ils point ? Sont-ils soumis, résignés à quoi que ce soit ? Nous ne pouvons le croire. Leur âme, dira-t-on, est déterminée violemment par une passion invincible ou par une suggestion de quelque divinité, ils le disent eux-mêmes, accusent les dieux, s’excusent sur les inspirations et les tentations qui les ont poussés, et
- ↑ Dans un ouvrage d’ailleurs d’une grande érudition, les Études sur les Tragiques grecs de M. Patin.