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titre de présent. « Je refuse ton présent, lui dit le saint d’un ton sévère, parce qu’il est le produit du vol. Pour avoir cette peau, il a fallu que tu la dérobes, et tu dois savoir que je ne m’enrichis pas du bien d’autrui. » Alors la hyène, baissant la tête et pliant les genoux, s’humilia profondément, et, tout en continuant de présenter la peau, elle marquait par son air qu’elle était touchée de ces reproches, et qu’à l’avenir elle se souviendrait de cette admonition. « Je vois que tu me comprends, dit saint Macaire, et je consens à recevoir ce que tu m’offres, pourvu que tu me promettes de ne plus retomber dans la même faute. » À ces mots, la hyène fit signe de la tête pour exprimer qu’elle prenait l’engagement de ne plus voler et d’obéir aux ordres du saint. Elle tint en effet sa promesse ; plus sage que ne le sont ordinairement les hommes, qui ne s’amendent que par impuissance de mal faire, elle dompta ses instincts, et depuis ce temps elle ne déroba jamais la brebis du pauvre.

Il en fut de même des ânes sauvages qui ravageaient le jardin de saint Antoine. Ce grand cénobite avait placé sa cellule dans une petite oasis auprès d’une fontaine, et les onagres qui venaient boire à cette source foulaient aux pieds les légumes qu’il cultivait pour se nourrir. Antoine, en les voyant un jour arriver par bandes, s’approcha d’eux et leur dit : « Pourquoi me faites-vous du mal, à moi, qui ne vous en ai jamais fait ? Éloignez-vous et ne revenez plus. » Les onagres, qui l’avaient écouté attentivement, témoignèrent par leur attitude les regrets qu’ils avaient de lui avoir déplu, et, craignant de l’affliger, ils ne revinrent jamais, à dater de ce jour, boire à la fontaine.

Lorsque Orphée, dans la fable païenne, apprivoise les lions et les tigres aux accords de sa lyre, il ne s’adresse qu’à leurs sens, et la fascination est toute matérielle. Dans les légendes chrétiennes, au contraire, les solitaires et les saints les apprivoisent par le sentiment moral et l’ascendant de la douceur et de la vertu : ils leur enseignent qu’il ne faut jamais faire le mal, que quand par malheur on a commis quelque dommage, causé quelque tort aux autres, on doit toujours une réparation. Aussi l’on peut dire, sans exagérer, que chaque maxime de la morale religieuse est confirmée par un apologue légendaire. Evagre, au livre M de son Histoire ecclésiastique, raconte que le solitaire Zosimas, se rendant un jour à Césarée avec un âne qui portait son bagage, fit la rencontre d’un lion qui se jeta sur son âne et le traîna dans la forêt voisine. Le saint le suivit sans s’effrayer, et, quand il eut dévoré sa proie, il l’interpella en ces termes : « Comment veux-tu que je puisse continuer ma route ? Je ne suis ni assez jeune ni assez fort pour porter mon bagage ; il faut donc que tu t’en charges, et certes tu me dois bien ce dédommagement après m’avoir privé d’un serviteur fidèle qui m’accompagnait partout et allégeait