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la culture intellectuelle doit être à peu près nulle chez les simples manœuvres, dont tout l’art consiste à pulvériser la garance ou à écraser les graines oléagineuses. Le plus grand nombre ne savent pas lire ; cependant, là comme partout, la situation semble s’améliorer un peu, au moins pour les ouvriers qui ne viennent pas de districts trop lointains, et l’instruction commence à étendre son rayon lumineux sur la génération qui s’élève.

C’est au milieu de la population marseillaise que se montrent plus vivement tous les signes essentiels du caractère provençal, avec sa naïveté pittoresque, ses élans soudains et sa personnalité sans détours. Deux influences rivales se disputent ici la vie des hommes, deux influences qui n’exercent un pareil empire dans aucune autre ville du midi. S’agit-il d’animosités religieuses comme à Nîmes, de combinaisons politiques ou sociales comme naguère à Lyon ? Nullement, mais d’une lutte constante entre les affaires et les plaisirs. Chaque individu semble regretter tour à tour le temps donné à ses intérêts au préjudice de ses jouissances, et les heures consacrées à ses satisfactions personnelles au détriment de ses affaires. Dans cette brûlante arène ouverte à tant de spéculations industrielles ou commerciales, où tout semble dressé comme dans une hôtellerie pour des gens qui passent, chacun est préoccupé d’arriver au but, — la fortune, — mais à la condition qu’il lui sera permis de se détourner de temps en temps sur la route pour se livrer aux plaisirs. Au sein du tourbillon de ces jalouses tendances, il reste peu de momens pour la famille. Les hommes comptent les minutes passées dans leur logis ; ils ont des cercles où ils se réunissent et qui sont à la fois des lieux d’amusement et des succursales de la Bourse. Nulle part, les femmes ne demeurent chez elles aussi souvent seules. En même temps qu’elle est extrêmement remplie, la vie marseillaise est circonscrite dans un cercle étroit, où les satisfactions de l’esprit trouveraient difficilement une place. Les influences étrangères aux préoccupations habituelles ne se produisent que par soubresauts, sans modifier le courant ordinaire des choses. Les ouvriers marseillais participent plus ou moins, suivant qu’ils sont plus ou moins indépendans, mais toujours en une assez forte mesure, à ces penchans, qui sortent, dirait-on, du sol même de la cité. Cependant ils vivent sobrement, au moins chez eux ; ils y sont forcés d’ailleurs par la cherté des denrées alimentaires. Il n’en est pas ici comme dans d’autres régions du midi, dans la vallée de la Garonne, par exemple, où l’abondance abaisse le prix des marchandises les plus usuelles. Les salaires sont, il est vrai, plus élevés à Marseille qu’à Toulouse ; mais la différence ne suffit pas pour égaliser les conditions de l’existence journalière. Les ouvriers pourtant, il faut le dire, car cette