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années, sans le secours d’aucun aide et sans faire obstacle à l’achèvement d’un nombre considérable d’autres peintures.

Les talens et la fécondité prodigieuse de fra Angelico l’avaient depuis longtemps déjà rendu célèbre, mais les fresques[1] de San-Marco mirent le sceau à sa réputation. Les tableaux de lui qu’on avait vus jusque-là étaient en général d’une dimension restreinte, et la proportion des figures n’y dépassait pas d’ordinaire un pied ou deux ; il ne s’était pas encore essayé dans la peinture murale, si ce n’est en de fort rares occasions, à Cortone et à Fiesole. Néanmoins, en traçant sur les murs de son couvent des figures d’une proportion tantôt presque égale, tantôt supérieure à celle du corps humain, en usant à peu près pour la première fois de moyens matériels qui nécessitent un assez long apprentissage, il prouva avec éclat que celle tâche nouvelle n’avait ni déconcerté sa pensée, ni intimidé son pinceau. La plupart des cellules de San-Marco, les dessus de porte du premier cloître et jusqu’à des corridors obscurs sont ornés de compositions variées à l’infini, bien que les mêmes sujets les aient le plus souvent inspirées. Le Crucifiement, l’Annonciation, le Couronnement de la Vierge, — ce sujet aimé entre tous, — telles sont les données que choisit ordinairement fra Angelico et qu’il rajeunit avec une incroyable abondance d’idées et de sentimens ; mais de toutes ces fresques la plus importante, si ce n’est la plus belle, est celle qui couvre une des parois de la salle du chapitre, et qui représente le supplice et la mort du Christ.

Au pied de la croix se groupent en première ligne les saints personnages témoins, selon l’Évangile, de l’agonie du Sauveur, puis les fondateurs d’ordres religieux et une multitude de saints de tous les temps et de tous les pays que, par un sentiment de vénération qui justifie l’anachronisme, fra Angelico a réunis sur le Calvaire. Tous les regards sont tournés vers le Christ, tous les visages expriment la douleur et la foi ; mais cette expression de la ferveur et de la désolation communes se modifie suivant le caractère ou le génie de chacun. Violente sur les traits de saint Jérôme, elle semble méditative sur ceux de saint Thomas d’Aquin ; saint Augustin écrit d’une main passionnée, sous ce sang qui l’enseigne, à côté de saint François adorant en extase les plaies divines dont il porta les marques. Graves et recueillis, des docteurs de l’église étudient le mystère qu’il leur appartiendra d’expliquer, tandis que baignés de larmes ardentes, saint Romuald, saint Gualbert et d’autres anachorètes vouent à la pénitence leur vie d’abord profane et dissipée. Ne croirait-on pas, à voir ce tableau si profondément pathétique des scènes suprêmes de la Passion, que fra Angelico a épuisé là toutes les ressources de son imagination, et qu’il ne lui restera plus qu’à se copier lui-même,

  1. Nous employons ce mot faute d’autre, dans le sens de peinture sur mur et non dans son sens littéral. On sait que la fresque est un genre de peinture exécutée sur un enduit frais, a buon fresco. La plupart des ouvrages de fra Angelico à San-Marco étant peints en partie ou retouchés a tempera, — sorte de gouache sur un fond sec, — ne sont pas, à proprement parler, des fresques. Il est permis cependant de les qualifier ainsi en s’autorisant de l’usage : usage général même en Italie, et auquel se sont presque toujours conformés en pareil cas les historiens de fait, depuis Vasari jusqu’au père Marchese.