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Sanzi, dans son panégyrique de Frédéric, duc d’Urbin, qualifie simplement de « religieux ardent au bien » l’artiste éminent que vingt ans auparavant un autre poète n’hésitait pas à rapprocher de Cimabue et de Giotto[1]. Puis, lorsque parurent les grands peintres du XVIe siècle, l’attention publique acheva de se détourner des maîtres de l’ancienne école. Les brillantes nouveautés qui venaient de se produire devinrent la proie d’une foule d’imitateurs qui travaillèrent à exagérer dans leurs pédantesques copies les formes du style inauguré par Michel-Ange, à substituer partout l’affectation au naturel, l’étalage du procédé à l’expression du sentiment et le faste de la manière à l’élévation de la pensée. À cette époque moins que jamais, fra Angelico devait trouver des admirateurs ; il en rencontra un pourtant parmi les plus effrontés apôtres de cet art matérialiste. Vasari, oubliant que sa plume démentait ici son pinceau, se prit de zèle pour la simplicité et la grâce personnifiées en fra Angelico, « talent merveilleux, écrivait-il, et qu’on n’a jamais assez loué ; » après quoi le biographe retournait à ses tableaux et continuait de tout son cœur à populariser le faux goût. Il y réussit mieux qu’à remettre en honneur les fresques de San-Marco et les autres peintures du doux maître.

À partir du XVIIe siècle, ces beaux ouvrages tombèrent dans un discrédit si complet, que beaucoup d’entre eux furent altérés sans scrupule par ceux-là mêmes qui auraient du les conserver avec le plus de respect. Ainsi, dans ce couvent de Florence où Fra Angelico avait entassé ses chefs-d’œuvre, on laissait s’anéantir ou l’on profanait ces précieuses reliques. Pourquoi, soit dit en passant, le père Marchese, après avoir si justement déploré les mutilations qu’a subies la fresque de la salle du chapitre au temps de l’occupation française, n’accuse-t-il pas aussi le badigeon qui, à une autre époque, a envahi la partie inférieure de la Transfiguration, et le fâcheux pinceau auquel on a livré, pour les rajeunir, dix ou douze autres fresques des cellules. Avant d’être insulté par les Vandales du dehors, fra Angelico, il faut en convenir, n’avait guère été mieux traité par ses compatriotes ; l’auteur des Mémoires oublie un peu trop de signaler ce fait. Quand il mentionne, par exemple, certain projet de champ de manœuvre imaginé par quelques officiers français et tendant à raser le couvent de San-Marco, il se rit fort de l’ignorance « des barbares venus pour civiliser l’Italie. » Rien de mieux ; mais était-il moins barbare, ce Paul III qui, au lieu de s’en tenir à l’intention, détruisait, au Vatican, toute une chapelle peinte par fra Angelico et la remplaçait par un escalier ? Enfin a-t-on fort bonne grâce, à se montrer si sévère lorsqu’on est soi-même si peu à l’abri des reproches, lorsqu’on a devancé l’étranger dans la voie de l’injustice et qu’on a tant tardé à le suivre dans celle des réparations ? Qui sait même ? Sans les exemples donnés par l’Allemagne et par la France, peut-être l’indifférence pour fra Angelico et les maîtres de l’école primitive durerait-elle encore en Italie. Il est certain du moins que les Italiens ont été les derniers à proclamer leur admiration pour ces nobles maîtres, et si le

  1. Domenico da Corella, dans son poème héroïque de Origine urbis Florentiœ :

    Angelicus pictor…
    Nomine non Iollo, non Cimabue minor.