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« Mon prince, lui écrit-il en date du 1er  août 1779, j’ai l’honneur de vous remettre ci-joint une rescription de 6,000 livres. Il ne faut point me savoir mauvais gré si je fais comme les bons parens, qui économisent sur les menus plaisirs de leurs enfans pour remplir leurs dettes sérieuses. Bien des gens trouvent déjà mauvais que j’aie pris sur moi de distraire pour vos besoins 500 louis, qui, versés, disent-ils, chez le trésorier de la marine, auraient été, d’après leurs oppositions, réservés pour leur paiement, de préférence à vos mandats personnels. Il est certain qu’ils sont dans leurs droits à cet égard. Me permettrez-vous aussi de vous demander, mon prince, pourquoi un courrier de 18 à 20 louis pour un objet également bien rempli par un port de lettre de 30 sous ? Ou vous portez une attention bien légère à vos dépenses, ou vos besoins ne sont pas si pressans que vous le dites, et je ne suis que le triste écho de cette réflexion, qui peut aussi bien vous frapper qu’elle m’a paru juste lorsqu’on l’a faite devant moi.

« Si vous me trouvez un peu plus austère, mon prince, que ma réputation d’homme gai ne semble le comporter, ne l’attribuez qu’au sérieux et véritable intérêt que je prends à vos peines ; elles exigent tous les soins et l’attention la plus continue de la part de ceux qui travaillent à vous en tirer.

« Je me mets au nombre de ces travailleurs zélés en vous assurant du profond respect avec lequel je suis, mon prince, etc.

« Caron de Beaumarchais. »


Ces premiers rapports entre Nassau et Beaumarchais avaient amené bientôt une intimité toujours croissante, et le prince s’était habitué peu à peu à considérer son ami comme une sorte de tuteur et surtout comme un caissier qui lui aurait été donné par la nature. « La caisse de M. de Beaumarchais, dit le gardien de cette caisse Gudin, était devenue celle du prince, qui y puisait pour presque tous ses besoins. » — « Mon cher ami, délivrez-moi de mes créanciers ; ils m’accablent et me font tourner la tête… Mon cher Beaumarchais, je vous recommande mes affaires, que vous m’avez promis de soigner, et je vous prie d’être certain que l’amitié que je vous ai vouée ne finira qu’avec ma vie… » Tel est le refrain ordinaire des innombrables lettres du prince de Nassau à l’auteur du Mariage de Figaro. Celui-ci se prête avec une complaisance inépuisable, entremêlée cependant quelquefois de mauvaise humeur, à ce rôle de caissier et de tuteur, que la princesse de Nassau contribue pour sa part à rendre très difficile, car elle est aussi panier percé que son mari.

C’était une princesse polonaise, mariée en premières noces au prince Sangusko et divorcée. Quoique la Pologne soit un pays catholique, on sait que le divorce y est toléré. Le prince de Nassau tenait à faire reconnaître son mariage par l’archevêque de Paris, et il était si bien habitué à se servir de Beaumarchais en tout, que c’est encore lui qui plaide dans cette affaire et qui transmet au prélat, en l’appuyant, la demande du prince. Je regrette de n’avoir pas