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céréales, tous ces actes concouraient au même but, ardemment poursuivi par la majorité d’une chambre véhémente[1].

Cependant cette législation outrée existait encore il y a un mois. Elle a traversé intacte la révolution de juillet et la révolution de février. Promulguée dans un intérêt purement aristocratique, elle a survécu au gouvernement des classes moyennes et au gouvernement du peuple par le peuple ! On avait oublié son origine, qui devait la rendre à bon droit suspecte ; on ne voyait plus en elle que la sauve-garde et en quelque sorte le palladium de la protection agricole, et à la longue les cultivateurs étaient demeurés convaincus qu’ils ne pourraient plus s’en passer. Vainement, dès 1833, le gouvernement avait-il proposé de réduire de moitié le tarif des bœufs étrangers ; vainement encore, en 1834, M. Thiers, ministre du commerce, avait-il demandé une réduction d’un tiers seulement : tous ces efforts devaient échouer devant l’opinion parlementaire, qui se montrait inflexible. L’n traité conclu en 1843, qui accordait aux bestiaux sardes un dégrèvement du cinquième des droits, faillit être rejeté pour cette seule clause. Un illustre général déclarait qu’il aimerait mieux voir notre territoire envahi par les Cosaques que par les bœufs de l’Allemagne ! Bref, il eût été réellement impossible de modifier dans une proportion sensible les taxes de 1822 et 1826. Après le triomphe de la révolution de 1848, le gouvernement provisoire, qui décrétait tant de choses, aurait pu décréter la franchise des denrées alimentaires, il paraît même difficile qu’il n’y ait pas songé ; mais il venait d’imposer à la propriété foncière les 45 centimes, et après avoir exigé ce sacrifice, qui sauva, il faut bien le dire, les finances et le crédit de la nation, il jugea, non sans raison, que le moment serait mal choisi pour inquiéter l’agriculture ; d’ailleurs, à cette époque, par un bienfait providentiel, toutes les subsistances étaient à très bas prix. Il n’a fallu rien moins que la menace d’une crise de céréales et la volonté, généralement peu entravée, d’un gouvernement qui sent sa force et qui en use, pour que le tarif reçût la première atteinte. D’un trait de plume, les taxes de 1826 sont suspendues et les droits modérés de 1816 remis en vigueur, « jusqu’à ce qu’il en soit autrement ordonné. »

Tel est l’historique du tarif des bestiaux.

Si l’on se bornait à considérer le décret du 14 septembre comme un expédient temporaire destiné à atténuer la crise des subsistances, il serait assurément très inutile d’en faire ressortir le mérite et l’opportunité. Le prix du pain est trop éloquent ! Dans de pareilles conjonctures, toutes les règles de la législation économique fléchissent devant une nécessité suprême : il faut premièrement assurer l’alimentation du peuple et conjurer les prix de disette ; les exceptions que l’on introduit alors dans le régime douanier ne tirent pas à conséquence pour l’avenir. Mais ce qui donne aujourd’hui tant d’importance au décret du 14 septembre, c’est que la réduction, même provisoire, du droit d’entrée sur les bestiaux fournit une occasion toute naturelle de signaler les effets du tarif normal et d’expérimenter, pour la première fois depuis plus de trente ans, les conséquences de la franchise ou du moins d’une taxe très modérée.

  1. L’épithète est de M. Thiers. Exposé des motifs du projet de loi de douanes de 1834.