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de l’être. Une superbe route qui date du temps des Espagnols descend en zigzags hardis le long du flanc de la montagne. Une suite d’arêtes abruptes et noyées dans une vapeur bleuâtre se succèdent parallèlement ; à chaque coude de la route, suspendue au-dessus de précipices que remplit une végétation touffue, on aperçoit un spectacle toujours différent et toujours pittoresque. Ce n’est pas le

Hills upon hills and alps on alps arise

du poète anglais. Les dos des montagnes ne s’élèvent pas l’un derrière l’autre, mais s’abaissent graduellement devant vous, tandis qu’au contraire ceux qu’on vient de quitter se dressent à pic en arrière. On arrive ainsi, comme par une suite de degrés immenses, à un espace plus ouvert, où un ruisseau court à travers la verdure, et après avoir beaucoup descendu, on se trouve comme dans une vallée des Alpes. C’est qu’on est encore à une assez grande hauteur, et bientôt commence une autre descente, aussi pittoresque au moins que la première. C’est une espèce de surprise que la nature a ménagée au voyageur, c’est comme une seconde édition encore perfectionnée d’un beau poème, ou, si l’on veut, comme la seconde partie d’un morceau de musique dans laquelle un thème qui avait charmé est repris avec des variations heureuses. Ainsi encore à Rome, le jour de la Saint-Pierre, une seconde illumination, supérieure à celle qu’on admirait, remplace la décoration étincelante du dôme par une décoration plus merveilleuse. Je cherche des termes de comparaison dans les plus grands plaisirs de l’imagination et des yeux pour donner quelque idée de l’impression que produit ici le spectacle des beautés naturelles. Désespérant d’exprimer avec une plume ce que le pinceau seul pourrait rendre, je tâche, puisque je ne puis faire voir les objets, de les faire sentir, ou au moins comprendre.

Une fois sortis des montagnes, la végétation devient de plus en plus tropicale ; les bananiers reparaissent, et les aloès ne se montrent plus. Le bombax étale ses aigrettes de pourpre. On est au milieu des yuccas et des cactus. En même temps que la température est plus chaude, le paysage devient plus frais. Un cours d’eau limpide entretient la verdure à côté de la route poudreuse. Des ranchos plus propres s’élèvent parmi des jardins et des cultures bien soignées, et c’est à travers ce pays fertile et riant que nous arrivons à la ville d’Orizaba. Arrêtés à la porte par la douane, nous devons à ce retard le temps d’admirer un magnifique seyba. C’est un arbre à lait de la taille d’un noyer, dont le tronc monstrueux est couvert de saillies difformes. Bientôt nous nous reposons sous le toit hospitalier de M. Saunier, Français établi à Orizaba, et qui reçoit les amis du docteur Goupilleau, avec qui il est lié, comme s’ils étaient les siens.