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aujourd’hui, sur ces temps de sinistre mémoire, et de signaler à un pays où tout s’oublie si vite l’abîme constamment ouvert sous ses pas. Il y a des gens, nous le savons, qui fuient ces souvenirs, de peur de troubler leur repos. Il leur faut de moins sombres lectures. A quoi bon étudier des temps qui ne reviendront plus? — Ils ne reviendront plus si vous êtes sur vos gardes, si les générations qui vous suivent ne s’engourdissent pas dans un oubli trompeur, si le danger leur apparaît et les tient en éveil. Il faut donc leur parler des maux que nos pères ont soufferts, leur en dire les vraies causes, les préparer d’avance à n’être dans l’occasion ni effrayées ni surprises. Voilà ce qui donne à l’œuvre de M. de Barante un éternel à-propos. Pas plus aujourd’hui qu’il y a deux ans nous ne voulons analyser cette histoire[1], en suivre pas à pas les dates et les faits, en réciter la table des matières; mais pour achever d’apprécier le plan, le but, la méthode de l’auteur, pour faire sentir l’esprit, le caractère général de son œuvre, est-il un moyen plus sûr que de le suivre dans son récit? Parcourons donc ces quatre nouveaux volumes, essayons d’en signaler au moins les sommités et de nous orienter ainsi au travers des événemens et des péripéties qu’ils renferment.

Le second volume s’arrêtait aux approches du 31 mai. Le troisième est consacré d’abord à reprendre et à raconter en détail les faits précurseurs de la crise. Triste récit où apparaît pour la dernière fois l’imprévoyante faiblesse des girondins ! Dans ces deux mois qui précèdent leur chute, ils préparent eux-mêmes tout ce qui doit la précipiter. C’est par eux que le tribunal révolutionnaire était né; c’est encore d’eux que vient le comité de salut public. Ils font décréter la dictature, sans s’être au moins assurés qu’ils l’exerceront par eux-mêmes. La destinée de ces hommes de parole, qui avaient besoin de la liberté, qui l’invoquaient sans cesse, était d’être les premiers auteurs de toutes les lois qui l’étouffaient. Et pourtant que de leçons, que d’avertissemens n’avaient-ils pas reçus? Au moment où Isnard, pour échapper à une difficulté passagère, pour écarter les soupçons de complicité avec Dumouriez, demandait, au nom de ses amis, cette création nouvelle, ce comité d’exécution entre les mains duquel l’assemblée devait abdiquer, leurs ennemis n’avaient pas pris la peine de déguiser la portée du projet. Marat, de sa voix cynique, avait dit à l’assemblée : « Il faut qu’on sache bien ce que nous allons voter. C’est la violence, c’est le despotisme de la liberté qu’il s’agit d’organiser pour écraser le despotisme des rois. » La franchise du commentaire souleva bien quelque objection : les girondins hésitèrent, mais n’en votèrent pas moins. Après avoir lancé l’assemblée, reculer n’était plus possible : le vote fut rendu. Ils venaient de doter leur

  1. Voyez la livraison de la Revue du 1er octobre 1851.