sans doute; ils entraînent avec eux d’irritantes injustices, de tristes et répugnans scandales, de honteuses immoralités. Au-dessus d’eux cependant il y a des désastres plus grands encore; au-dessus de ces maux terribles, il y a un mal plus terrible : c’est quand la vie intellectuelle et morale des peuples est attaquée dans la racine même, lorsqu’au milieu des délices de la paix, de la prospérité des intérêts matériels, des illusions trompeuses produites par l’augmentation factice de toutes les forces de l’état, les croyances religieuses se détruisent, les idées morales s’égarent, les esprits s’énervent dans les voluptueuses jouissances, l’orgueil s’exalte, la vanité se propage, tous les liens sociaux et domestiques se relâchant à la fois, et le culte des intérêts matériels venant remplacer la vertu par l’égoïsme, les sentimens élevés par les passions astucieuses et basses….. »
C’est au reste un des traits caractéristiques des œuvres politiques de Balmès : l’Espagne est le principal sujet, mais dans son histoire c’est le grand drame des révolutions que l’auteur étudie surtout. Balmès avait un mérite peu commun au-delà des Pyrénées : il avait une connaissance très réelle de l’Europe, de son état, du mouvement de ses idées, du travail de ses sectes; il avait ce qu’on pourrait appeler la science des symptômes généraux. Les commotions dernières ont trouvé bien des prophètes après coup et ont fait bien des convertis dont le passé et le présent pourraient avoir ensemble de singuliers dialogues : ils n’avaient rien prévu avant, et ils ont tout oublié après. Balmès avait tout prévu, et il n’avait besoin de rien oublier; toutes ses pensées étaient depuis longtemps tournées vers cet ordre nouveau de catastrophes. Il était venu en France plusieurs fois; il y avait séjourné, et au retour d’un de ces voyages il écrivait en 1846 : « La révolution de 1830 n’est point le terme de la révolution française, c’est seulement une de ses phases... Il n’est point d’homme réfléchi qui ne tremble en méditant sur l’état des idées et des passions dissolvantes qui pullulent si abondamment en France et menacent son avenir d’une manière formidable. » En 1847, il ajoutait : « Je viens de voir des symptômes semblables à ceux qui précédèrent la chute de Charles X. » Peut-être bien ces prédictions cachaient-elles un petit côté, l’implacable rancune née de l’affaire du mariage de la reine; mais les mêmes griefs n’existaient pas pour lui dans un ordre plus général : or c’est là surtout que les pronostics se pressent dans l’esprit de Balmès. « Le monde civilisé, disait-il, est intelligent, riche, tout-puissant, mais il est malade; il lui manque la morale, les croyances... » Les chocs prochains se dessinaient à ses yeux dans leur dramatique grandeur; il voyait la lutte des gouvernemens, la lutte des idées, la Russie grandissant d’une manière menaçante pour l’Europe et ne trouvant un contrepoids que dans