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lui-même ainsi la civilisation : « La plus grande somme de moralité, la plus grande somme d’intelligence, la plus grande somme de bien-être dans le plus grand nombre possible. » L’auteur du Protestantisme, en un mot, avait l’esprit assez large pour comprendre tous les progrès, tous les développemens légitimes ; seulement, ces développemens et ces progrès, il les plaçait sous la sanction de la religion, parce qu’à ses yeux, comme aux yeux de tout homme qui pense, si les idées religieuses sont excellentes pour civiliser les sociétés qui se forment, elles garantissent de la dissolution les sociétés riches, prospères et florissantes ; elles sont le sel préservateur qui empêche une civilisation de s’aigrir, selon le mot de Bossuet. L’écrit de Pio IX ne fait que compléter en ce sens tous les autres écrits de Balmès. Même après 1848, dans le peu de temps qu’il a vécu et lorsque l’événement eût pu ébranler sa confiance, il disait encore qu’il n’avait pas un mot à ajouter, pas un mot à retrancher dans son ouvrage.

Qu’on résume tous ces travaux du publiciste espagnol, qui, pour une existence si courte, pourraient être réputés immenses. Dans le Protestantisme, Balmès traçait tout un tableau de la civilisation européenne. Ses Écrits politiques sont l’histoire contemporaine de son pays en même temps qu’une analyse des plus vigoureuses de toutes les tendances, de toutes les formes politiques de notre siècle. Les Lettres à un Sceptique sont la réfutation des systèmes de Schelling, d’Hegel, de la philosophie française, et une étude animée des plus profondes, des plus délicates questions religieuses. Dans la Philosophie fondamentale, l’auteur entreprenait une œuvre singulière et remarquable, celle d’approprier la philosophie de saint Thomas aux besoins du XIXe siècle. Il avait écrit encore une Philosophie élémentaire ; on a vu ce qu’étaient le Criterio et Pio IX. Toutes ces œuvres et quelques autres plus secondaires se succédaient dans un espace de huit années, — de 1840 à 1848. Doué d’une fécondité extrême de pensée, Balmès travaillait néanmoins encore souvent quatorze heures par jour, comme s’il avait eu hâte de remplir sa carrière. On ne vit point impunément de cette vie dévorante. Dès le commencement de 1848, Balmès sentait se développer en lui le germe d’un mal incurable. On lui conseillait le repos, l’air des montagnes natales, et il quittait Madrid, selon son expression charmante, « tel qu’un pauvre oiseau qui cherche inutilement à se débarrasser des grains de plomb qui l’ont blessé. » Il se réfugiait à Barcelone d’abord, puis à Vich ; mais il ne pouvait plus vivre : sa frêle et nerveuse organisation s’était rapidement usée dans la méditation et dans le travail, et les injustices qui l’avaient assailli pour son Pio IX n’avaient fait qu’activer son mal. Balmès était atteint d’une phthisie arrivée au dernier degré. Son intelligence seule survivait encore pour tracer quelques réflexions sur la république française naissante. On pourrait dire qu’il