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sont de beaux parleurs qui délibèrent et qui tâtonnent; nous avons plus d’audace qu’eux, et la canaille est à nos ordres. »

C’était bien juger son monde. Tout se passa comme il avait prévu. Les beaux parleurs tâtonnèrent, et au dernier moment tentèrent un expédient qui hâta la catastrophe. Une commission extraordinaire de douze membres, placée momentanément au-dessus du comité de salut public lui-même, fut chargée de veiller à la défense de l’assemblée. Le scrutin y fit entrer douze girondins, avec mission de faire de la force, bien que la majorité, en les nommant, fût résolue d’avance à les abandonner si par hasard ils en faisaient. La commission renouvela la faute commise le mois précédent; au lieu de casser la commune et d’éteindre hardiment ce foyer d’insurrection, elle fit arrêter un homme. Ce ne fut plus Marat, ce fut Hébert, le substitut de la commune, l’ignoble auteur du Père Duchêne. De ce moment, la populace eut un mot d’ordre plus commode et moins contestable que l’expulsion des députés de la droite; elle demanda la liberté d’Hébert et la suppression de la commission des douze. A peine sa voix eut-elle grondé, que la pauvre commission, dans un abattement indicible, lâcha son prisonnier et offrit sa démission. C’était abdiquer devant l’émeute, arrêt de mort de tout pouvoir, quel qu’il soit. Le dénoûment devenait inévitable; il fut aussi prompt qu’au 10 août. Les deux coups de main, comme les deux complots, étaient calqués l’un sur l’autre; ce furent les mêmes rôles, presque les mêmes acteurs. Il y manqua pourtant le dévouement des Suisses, car personne ne se fit tuer cette fois. Pache, le nouveau maire, suivit dévotement la trace de son prédécesseur : il rassura la convention jusqu’au dernier moment, comme Pétion avait rassuré le roi. « Ce n’est rien, disait-il quand le tocsin sonnait, quand le canon grondait, quand le Carrousel était envahi par Henriot et sa bande, ce n’est rien qu’une insurrection morale. » Pétion n’avait pas mieux dit; mais cette fois Pétion était à la place du monarque : il allait, lui aussi, assister à sa déchéance. Et tout cela en moins d’une année! Quelle leçon! quel éclair dans cette nuit profonde ! quelle intervention manifeste de la divine justice !

Quand Dieu par plus d’effets montra-t-il son pouvoir?

Mais les yeux ne devaient pas s’ouvrir, et la nuit n’en devint que plus profonde.

Si la lutte était encore possible avant le 31 mai, si les girondins, à leur poste, pouvaient risquer utilement leur vie, ils ne le pouvaient plus le lendemain. Les uns, et les plus notables, se soumirent au décret d’arrestation; d’autres, plus prudens, se cachèrent dans Paris; ceux qui s’échappèrent pour en appeler à la force firent vainement un essai de guerre civile. Non-seulement ils avaient porté à Évreux et à Caen ces faiblesses de caractère qui les avaient perdus à Paris,