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la doctrine chrétienne, favorablement accueillis par les familles de même qu’à Lodève, n’y soient pas plus nombreux ; tant que les moyens d’instruction demeureront au-dessous des besoins, une partie de la population sera vouée à cette ignorance fatale qui laisse aux instincts toute leur brutalité originelle.

Les mœurs des ouvriers de Mazamet, récemment détachés des travaux agricoles, présentent un aspect plus primitif qu’à Bédarieux et à Lodève. Malgré le développement actuel de l’industrie, la vie quotidienne ne rappelle que de très loin les habitudes de ces populations du nord de la France qui sont nées, qui ont grandi dans les fabriques, et dont l’éducation et les goûts ont subi l’impérieuse influence d’une situation héréditaire. De même que les bûcherons ou les pâtres des montagnes voisines, les travailleurs de Mazamet sont généralement modérés dans leurs exigences et faciles à contenter. Le luxe extérieur, le goût pour la parure, par exemple, qui prélève ailleurs une si large dîme sur le gain de chaque jour, est fort peu développé parmi eux. Les occasions mêmes qui le provoquent, les divertissemens publics, les réunions où chacun cherche à briller, sont extrêmement rares. Le dimanche, les filles attachées aux fabriques ne recherchent pour distraction, après les exercices religieux, que de courtes promenades. Aussi y a-t-il de la retenue dans les mœurs. On ne cite pas beaucoup d’exemples de concubinage, et les enfans naturels sont fort peu nombreux. Comme à Lodève, comme dans toute cette région de la France, les ouvriers se marient de bonne heure, et les ménages sont généralement assez unis. Ce n’est pas à dire que les jours de repos se passent en famille : les femmes restent d’ordinaire au logis, et les hommes vont dans les cabarets. La règle municipale, très sévère pour ces établissemens, leur enjoint de fermer à huit heures du soir ; mais dans l’application, une tolérance parfois abusive tempère la rigueur du principe. On commence à s’apercevoir ici qu’on s’éloigne un peu des contrées viticoles du Bas-Languedoc, où règne une remarquable sobriété ; le vice si tristement répandu dans nos contrées du nord, l’ivrognerie, apparaît déjà de temps en temps dans la population des fabriques.

L’élément le plus accessible aux grossières séductions de l’ivrognerie comme à toutes les influences démoralisantes, c’est celui qu’ont appelé du dehors les progrès les plus récens de l’industrie. Ainsi les premiers tisseurs des métiers à la Jacquart ont apporté avec eux la funeste coutume de chômer le lundi. Les ouvriers étrangers n’ont ordinairement pour vivre que le produit de leur travail ; parmi ceux du pays, au contraire, un bon nombre ont reçu en héritage quelque morceau de terre, et puisent dans une situation plus assurée d’utiles conseils de prévoyance et de modération. Grâce à la prospérité soutenue des manufactures, on ne rencontre point du reste à