Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/390

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Du pas lourd des grands bœufs, du bruit sourd des forêts,
J’écoute avec amour la lenteur cadencée ;
C’est ainsi que je sens, dans mes instincts secrets.
Cheminer vers le but mes vers et ma pensée.

J’aime la majesté de votre doux sommeil.
Quand la splendeur du soir, dorant votre poil sombre.
Sur les prés rougissans où s’allonge votre ombre,
Semble aux cornes d’ébène attacher un soleil.

Vers l’astre qui descend tournant un front superbe.
Couchés en demi-cercle et fermant vos grands yeux.
Tandis que l’enfant joue entre vos pieds dans l’herbe,
vous ruminez en paix, semblables à des dieux.

Vous êtes, comme ils sont, patiens et terribles,
Bienfaisans comme ils sont pour nous, ingrats mortels!
Et le sage Orient vous dressa des autels,
L’Orient qui voyait les vertus invisibles !

Mais l’esprit de nos jours, sombre ennemi du beau.
Et dont l’étroit savoir insulte à la nature.
De sa difformité posant partout le sceau,
A corrompu ta race, ô noble créature!

Dans ces monstres épais qu’il te donne pour fils.
Je cherche, hélas ! en vain ta fierté disparue.
Lui déjà, dans son rêve, ô vieux roi de Memphis,
Il t’arrache aux honneurs de l’antique charrue!

Entends, au bout des prés, cet affreux sifflement :
C’est ton rival qui passe, et le monde l’acclame.
Doux et noble ouvrier, place au vil instrument.
Place au corps monstrueux qui vient détrôner l’âme!

Que l’esprit désormais passe dans le métal!
Mais, en donnant au fer la vitesse et la vie,
O pâle humanité, subis l’arrêt fatal :
A l’œuvre de tes mains tu seras asservie!