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les intérêts sont communs. La conférence de Vienne a essayé de formuler cette politique, et à la première difficulté rien n’est resté debout de l’œuvre qu’elle avait tentée. Or sur qui peut peser la responsabilité d’une telle impuissance ? Dans cette déplorable affaire d’Orient, depuis qu’elle est venue éveiller en Europe de si vives anxiétés, l’action des divers gouvernemens est tout naturellement tracée. On comprend l’attitude de la Russie : elle obéit à une ambition qui va droit son chemin; on conçoit la politique de l’Angleterre et de la France, l’une et l’autre défendent un intérêt fort clair; mais s’il est un rôle mystérieux et difficile à définir, c’est celui de l’Autriche et de la Prusse. Il y a peu de temps encore, la Prusse et l’Autriche, à peu de chose près, avaient sur la question d’Orient la même pensée que la France et l’Angleterre. Ce que celles-ci avaient entendu par la note devienne, les deux grands états allemands l’entendaient aussi; ils ne s’associaient nullement, que nous sachions, aux interprétations de M. de Nesselrode. Qu’est-il arrivé pourtant ? C’est que quand il s’est agi de maintenir le sens de cette note, c’est-à-dire quand l’accord des quatre puissances était le plus nécessaire et pouvait être le plus utile en interposant l’autorité d’une médiation européenne qui se fût adressée à la fois à la Russie et à la Turquie, alors la dislocation a commencé; alors se sont produites, à la place des conférences diplomatiques de Vienne, les entrevues souveraines d’Ollmütz; alors sont venues les tergiversations du roi de Prusse, qui, après avoir refusé de se rendre personnellement au camp autrichien, est parti soudainement, à l’insu, dit-on, de son conseil, pour retrouver l’empereur Nicolas à Varsovie.

Ce n’est pas que nous ne nous expliquions les démarches personnelles des deux souverains allemands. Ils ont espéré être plus heureux que la diplomatie et obtenir la paix du tsar; ils ont pensé que mieux que personne ils pouvaient faire valoir les considérations supérieures qui font en quelque sorte une loi pour tous d’un arrangement amiable. Nous serions tentés de croire que c’est là dans le fond tout le secret des entrevues qui viennent d’avoir lieu à Ollmütz et à Varsovie. Il se pourrait en effet qu’il ne se fût rien passé dans ces entrevues d’aussi décisif qu’on a pu le supposer, et que tout se fût borné à des efforts mutuels, — du tsar pour gagner les souverains allemands à sa politique, — des souverains allemands pour amener l’empereur Nicolas à des conditions moins excessives et plus équitables. Mettons que ni les uns ni les autres n’aient aussi complètement réussi qu’ils l’eussent désiré, c’est le plus probable malgré tout ce qu’on peut dire : qu’en résulte-t-il ? Pour l’Autriche et la Prusse d’abord, une situation trop peu nette et peu digne de grandes puissances. Il ne suffit point de prétendre se renfermer dans une neutralité inactive et expectante; il est des momens où, à moins d’une abdication véritable, cette neutralité est impossible : c’est quand il se produit des questions qui touchent à un intérêt général, européen. Lorsque l’Autriche et la Prusse s’étaient réunies à l’Angleterre et à la France pour travailler en commun à une conciliation, c’est que, sans nul doute, elles avaient aperçu cet intérêt européen, et ce ne sont point à coup sûr les complications nouvelles qui l’ont fait disparaître. Comment les deux grands gouvernemens allemands, après avoir partagé l’opinion de la France et de l’Angleterre sur le sens réel de la note de Vienne et sur la nécessité de maintenir intacte