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trompons souvent, faute de connaître les tendances réelles des populations de l’Orient, parce que nous ne nous rendons pas un compte fidèle de ce qui s’agite dans ce monde mystérieux et renaissant; c’est ainsi qu’un écrivain grec, dans un recueil d’Athènes, — le Spectateur de l’Orient, — montre ce qu’il y a d’arbitraire dans les classifications que nous faisons des partis helléniques. Il n’y a point en Grèce, à proprement parler, de parti français, anglais ou russe, comme nous le disons quelquefois; mais il y a ce qu’on peut appeler un parti oriental et un parti occidental. Le premier, estimant au-dessus de tout la religion, tourne toutes ses espérances vers la Russie, qui est la protectrice de la foi orthodoxe, qui partage la haine du chrétien grec contre le drapeau de Mahomet, et qui veut rétablir l’empire de Byzance; le second, aimant les sciences, les arts, le commerce, incline vers l’Occident, où il retrouve quelque chose de l’ancienne Grèce. Ces deux tendances ne s’effectuent pas; elles se fondent, se combinent, se viennent mutuellement en aide, et de ce dualisme naît la supériorité de la civilisation grecque, appelée à servir de milieu entre l’Orient et l’Occident, en participant des deux. De là aussi la destinée spéciale de la race grecque dans les combinaisons auxquelles doit donner lieu la vraie et juste solution de la question d’Orient. C’est à cette race qu’appartient la mission de relever, sur ce sol où elle a dominé, un empire civilisé et florissant à la place de l’empire en décadence des Osmanlis. Ce sol est à elle du droit de l’intelligence, du droit des malheurs que lui infligea la barbarie musulmane, du droit des combats qu’elle a déjà soutenus pour s’affranchir, enfin de ce droit imprescriptible d’une race qui conserve intact à travers les siècles le dépôt de sa foi, de ses traditions, de sa nationalité. Ce n’est point l’ambition, on le voit, qui manque à ces vues remarquablement exprimées. C’est là au reste un fier et viril sentiment. Seulement le difficile est de traduire tout cela eu une politique pratique que l’Europe puisse adopter. Cela viendra sans doute; jusque-là, si l’Europe prête son secours à l’empire ottoman, si elle arrête ce vieil édifice sur le penchant de la ruine, c« n’est point la religion qu’elle défend en lui, c’est l’indépendance de l’Occident, et cette indépendance, les chrétiens grecs sont plus que personne intéressés à ne point désirer qu’elle périsse, parce qu’alors ils ne feraient probablement que passer d, une servitude à l’autre. Malgré les espérances de l’auteur grec, il n’est point sûr que le Cosaque, attachant son cheval aux colonnes du temple de Jupiter olympien, laissât autour de lui la liberté très florissante. Toujours est-il que de tels livres dénotent le travail des esprits parmi les populations orientales; ils montrent combien ces populations s’émeuvent et se préoccupent, sous l’empire de leurs instincts religieux et nationaux, d’une question dont le poids oppresse l’Europe depuis plus de six mois, et qui passe d’un instant à l’autre par des phases toujours nouvelles et toujours plus graves.

Cette question d’Orient vient aussi de donner lieu à une publication d’un autre genre, et qui mérite à tous égards d’être signalée. La Vérité sur la question des lieux saints, par quelqu’un qui la sait, tel est le titre de cet écrit, qui révèle en effet une connaissance approfondie du débat d’où est venue la crise actuelle. En dépit de la suscription de cette brochure, qui porte la date de Malle, nous ne doutons point qu’elle ne sorte des presses de Constantinople, et bien qu’elle soit anonyme, nous croyons qu’on en pourrait facilement